oul VERGEZ (1908-1977) fut un compagnon charpentier du Devoir de Liberté et l’auteur de plusieurs romans originaux. Dans l’un d’eux – Les Enclumes de cristal (Fayard, 1967) – il évoque le lent déclin des maréchaux-ferrants après la Grande Guerre, à travers la vie de Clovis Gagnepain, dit Vulcain, un compagnon de ce métier.
Celui-ci est Béarnais, comme R. Vergez, et au début du roman, un peu avant 1914, il a vingt-trois ans. Il pratique un jeu de défi, un jeu violent, avec un bâton, qui consiste à dévier des pierres que lui lancent ses adversaires. Voici l’extrait où Clovis s’affronte à des jeunes de son village :
« Clovis éclata de rire, prit un gros bâton taillé en spirale qu’il avait façonné lui-même à la tyrolienne, et s’en fut retrouver ses amis rassemblés sur la place de l’église, valets de fermes ou apprentis, auprès de quelques filles.
Assis sur un soutènement de pierre, ils chantaient en choeur la rengaine du moment :
« C’est la valse des ombres de la nuit
Qui vont dans la pénombre, comme des oiseaux de nuit. »
Il tomba la veste qu’il jeta sur le gazon et alla s’adosser au gros ormeau en criant : « Abourri ! Abourri ! » (Tapez dur !).
La plus jeunes des filles, souple comme une algue, se jeta contre lui d’un bond :
- Non, Clovis, non. Pas ce jeu-là. C’est dangereux. Chaque fois, j’en deviens folle. Je t’en prie… !
Il l’écarta, tout riant, bâton levé, en répétant : « Abourri ! » Les autres cherchaient des cailloux ronds dans le chemin. « Abourri ! » Jambes écartées, poitrine en avant, Clovis commença à jouer du bâton. Face à son visage crispé, les paupières ne laissaient filtrer qu’un mince rayon de sa sombre pupille, il guettait les projectiles que les autres lui lançaient à la volée, animant son bâton d’un jeu de poignet rapide. Les cailloux, l’un après l’autre, venaient heurter, avec un claquement sec, son rustique bouclier qui sifflait, virevoltait au bout du poignet, moulinait l’air. Les gars visaient la tête, tous à la fois. Abourri… Abourri…
Miracle !… Aucune pierre n’atteignait son but. Excédée de ce jeu dangereux, la fille-liane se jeta sur l’un des assaillants qui était son propre frère et le gifla durement, ses larges yeux luisants de fureur. Puis, fonçant sur Vulcain, elle s’accrocha au bâton de ses deux mains et sanglota nerveusement. Le jeu cessa. »
Ce jeu ne doit pas être sorti de l’imagination (fertile !) de Raoul Vergez. Il l’a probablement vu pratiqué dans son Béarn natal. Il n’est pas non plus invraisemblable, puisque des explorateurs l’ont observé lors des guerres que se livraient les Hottentots du Cap au XVIIIe siècle (voir l’article : Le Kirri et le Rackum, bâtons des Hottentots). Parer des jets de pierre avec un bâton serait donc possible.
Un visiteur de ce blog, connaissant bien les jeux béarnais, aurait-il des informations qui en confirmeraient la pratique au début du XXe siècle ?
Article rédigé par Laurent Bastard, merci