Dans le magazine « Le Miroir » du 19 octobre 1913 se trouve une nouvelle d’Albert NICOLE intitulée « La mort du gueux ». Triste histoire… C’est celle d’une famille de paysans, les Roudier, dont le fils a mal tourné. Emprisonné durant trois ans pour des délits qui aigrissent et déshonorent son père, Victor Roudier s’engage dans les « bat’d'Af ». Mais il commet des violences sur un sergent et se retrouve condamné à dix ans de travaux publics. Les dix ans s’écoulent tandis que le père rumine son amertume…
Puis le fils revient chez lui. Au soir, il hésite à franchir la porte et c’est alors qu’il entend ses parents se disputer :
« La mère, je t’le dis, qu’il ne remette plus les pieds ici ou je l’assomme avec mon gourdin.
- Tu es méchant, le vieux, c’est pourtant ton fils ! Faut savoir pardonner pour que le bon Dieu y te pardonne à toi itou.
- Du pardon ! J’en a pas pour des gredins de cette espèce, la vieille. D’abord, y n’a jamais eu une minute de regret. »
Derrière la porte, Victor Roudier entend tout. « Alors, doucement, avec mille précautions, il rampe le long du mur jusqu’au gerbier. A grand’peine, il y arrache quelques fagots, bien lourds pour ses muscles vaincus par les travaux excessifs. Il songe qu’un coup de gourdin serait définitif, appliqué par un bras qui a l’habitude de se jouer de pareils poids, comme celui de son père. » Et pour se venger de de la dureté de son père, il décide de mettre le feu aux gerbes, qui incendieront la ferme entière.
« Il va mettre son projet à exécution ; il se baisse, fait une petite niche dans la paille pour que la flamme soit abritée et frotte une allumette ; soudain, une ombre immense surgit devant lui, et cette ombre lève un bras, et ce bras tient un gourdin qui fait un moulinet terrible sur l’incendiaire, glacé d’effroi. Un éclair… il a reconnu le père.
- Ah ! vieux cham… ! glapit-il.
Mais il n’a pas le temps d’achever son blasphème : le gourdin s’est abattu sous la poussée formidable du géant et le crâne du bandit n’a point résisté longtemps à ce choc. Un peu de cervelle a volé sur le bras du vieux qui se penche.
- Ah ! c’est toi, le gueux ! le gueux ! le gueux ! fait-il.
C’est tout. Le père Roudier continue sa ronde habituelle, entre dans l’étable pour voir si les bêtes sont bien attachées et revient à la maison où la vieille se déshabille. A demi somnolente, elle lui demande, pendant qu’il sort de la malle sa blouse bleue des dimanches :
- Où donc que tu vas, à c’t'heure ?
- Je vas chez les gendarmes, dit-il, sans autres explications.
Et il sort, le pied ferme, le front haut, la conscience pure.
Les étoiles sourient dans la nuit sereine. »
On vous avait prévenus : c’était une très triste histoire de bâton…
Article rédigé par Laurent Bastard. Merci