Les compagnons boulangers vouaient une véritable dévotion à leur canne. Le compagnon Journolleau dit Rochelais l’Enfant chéri en parle comme d’une bien-aimée (voir l’article) et les surnoms associant la canne au nom de province sont particulièrement représentés dans leur corporation (Le soutien de la canne : un surnom de compagnon).
Mais les compagnons d’autres corporations savaient aussi joliment versifier à propos de leur canne.
C’est ainsi que le compagnon boulanger René BADAIRE dit Montauban la Ferme Volonté a publié dans le journal « Le Compagnonnage » (1er août 1939) la chanson d’un de ses amis, le compagnon Jean Rouché, Montauban l’Ami du Tour de France, menuisier du Devoir de Liberté, récemment décédé.
Ce dernier fait de la canne un soutien physique et moral, un objet de respect et de concorde, qui ne doit inspirer que de nobles sentiments. On mesure l’évolution qui s’est produite entre le milieu du XIXe siècle, où la canne était offensive autant que défensive, et l’entre deux-guerres, où les compagnons cherchaient à resserer des rangs dramatiquement éclaircis en 1914-1918.
LA CANNE
Symbole de gloire et d’honneur
Qui nous suit sur le Tour de France
En nous mettant au fond du coeur
Energie et persévérance,
Laisse pour toi nos voix s’unir
Et de ton rôle d’artisane
Dans le passé, dans l’avenir,
Sois fière, ô ma vaillante canne.
Les temps sont durs et devant nous
Les chemins sont semés d’épines.
Il faut gravir sur des cailloux
La pente rude des collines.
Ces obstacles, nous les vaincrons.
Que la route soit dure ou plane,
Entre les mains des Compagnons
Sois vaillante, ô ma fière canne.
Pour la Justice et la Bonté,
Pour l’essor du Compagnonnage,
Et pour que la Fraternité
S’étende toujours davantage.
Pour nos frères à tous moments,
Pour prévenir toute chicane,
Enfin, pour tous les dévouements
Tiens-toi toujours prête, ô ma canne.
Vois-tu, de nouveaux jours ont lui
A l’horizon compagnonnique.
Les mains se pressent aujourd’hui
Dans une Union symbolique.
Viens, ne reste pas à l’écart
Sous le cordon qui t’enrubanne,
A nos fêtes prenant ta part,
Sois gaie, ô ma fidèle canne.
Nous te portons avec fierté
Quand nous faisons le tour de France.
Plus tard, insigne respecté,
Nos foyers aiment ta présence.
Le souvenir de nos vingt ans,
Tu le gardes sans qu’il se fane
Auprès de nous pendant longtemps,
Reste jeune, ô ma belle canne.
Droite comme l’honnêteté,
Sans connaître mille souillures,
Contre la sainte Charité
De toute attaque reste pure.
Aime de l’Union les attraits,
Dans le domaine du bien glane
De lourds épis et pour jamais
Sois juste, ô ma bonne canne.
Quel est l’auteur ? C’est Montauban,
Nommé l’Ami du Tour de France.
S’il a pu vous plaire vraiment,
C’est sa meilleure récompense,
Et fier quand il tient son pommeau,
Plus qu’un vizir de sa sultane,
Il s’en ira jusqu’au tombeau
Appuyé sur sa noble canne.
Chanson retranscrite par Laurent Bastard. Merci