M. Brix PIVARD a récemment découvert une belle canne d’un combattant de la Grande Guerre, ou plutôt de la Longue Guerre, puisqu’il combattit jusqu’en 1925 ! Il nous a communiqué le texte qui suit et nous le remercions de cette nouvelle contribution au CRCB :
« En période du centenaire on trouve encore dans les brocantes des cannes datant de la Grande Guerre. « Tout un patrimoine est ainsi vendu chaque semaine sur les places de nos marchés. » (Michel VERGé-FRANCESCHI : « Jean Baldacci (1890-1914) ; A Corps Perdu. Une Famille Corse en deuil face à la Guerre de 1914″, Colonna édition, 2013, citation p.28).
Certaines cannes sont de véritables œuvres (cf l’article : La canne du soldat Claude Burloux, du 07-10-2014).
Elles s’apparentent à l’artisanat de tranchées ou Trench Art (art de tranchées) pour les anglophones. En France on parle aussi à propos, d’art populaire ou d’art brut. Ces cannes non réglementaires sont souvent sculptées avec finesse. Les chasseurs alpins uniquement, possédaient des cannes (alpenstocks), des bâtons, qu’ils utilisaient en raison d’intenses marches à pied ou à skis dans les montagnes (cf l’article du 10-01-2016 : Alpenstock ou bâton de Ski de « diable bleu » ?).
Avec l’enlisement du conflit les soldats vont occuper leur quotidien en concevant des objets fonctionnels et nécessaires (briquets, pipes, coupe-papiers, etc.). Les cannes servent à marcher dans la boue des tranchées, s’appuyer lorsque l’on est blessé, etc. Beaucoup de soldats ruraux sont habiles de leurs mains. Ils utilisaient aussi souvent des cannes et des bâtons dans leurs tâches quotidiennes civiles.
La canne présentée ici mesure 83 cm de long. Elle possède un manche sculpté en forme de sabot. Si le soldat qui a réalisé la canne était un berger il s’agit probablement d’un sabot de mouton ou de chèvre. Si le soldat qui a réalisé cette canne était un vacher, il est aussi possible d’imaginer qu’il s’agisse d’un sabot de bœuf ou de vache. Le fait que le pommeau soit sculpté en forme de sabot, tend à renforcer le fait que le poilu qui a réalisé cette canne était un terrien, un rural proche de la terre et qui l’aimait, le pommeau étant l’élément de la canne toujours tenu en main et sur lequel on s’appuie. On pourra aussi penser que, en apposant sa main sur ce pommeau, le poilu conservait ainsi la main sur une humanité dévoyée, grégaire, animalisée par une guerre effroyable.
On observe également sur le manche des gravures des campagnes de 1914 à 1918 entourées par une couronne de laurier (symbole de la gloire, du triomphe).
En dessous des dates sont gravées les initiales « J.L », qui sont certainement celles du poilu qui a réalisé cette canne.
Sur le côté opposé est gravé : « Levant » avec les années 1920 à 1925 ainsi qu’un croissant de lune et une étoile (l’emblème de l’islam).
Le reste de la canne est gravé de motifs végétaux, du lierre ou une liane genre chèvrefeuille (symbole de l’attachement).
L’ensemble de ces éléments nous permettent de dire que le soldat qui a gravé et sculpté cette canne était un homme issu de la société rurale, paysanne. Il a participé à toute la Grande Guerre de 1914-1918, ainsi qu’à la campagne du Levant (Cilicie) où l’armée française combattit la Turquie jusqu’en 1921, puis occupa la Syrie et le Liban, anciens territoires de l’empire ottoman démembré.
Cette canne a été sculptée par son détenteur dans les tranchées et après. En y gravant ses initiales et ses différentes campagnes militaires, il a témoigné qu’en vivant l’innommable, il avait su conserver son humanité et les liens qui lui permettaient de s’y rattacher.
L’auteur exprime ses remerciements à Laurent Bastard, pour la communication de ce texte et des ses photos au site internet du centre de recherche sur la canne et le bâton. »
Merci donc à vous deux
Merci à Frédéric Morin d’avoir crée ce site internet , ainsi qu’à Laurent Bastard pour ses nombreuses contributions, qui permettent d’avoir un maximum de connaissances sur l’histoire et l’usage de la canne et du bâton à travers les siècles.