Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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LE VOLANT, UN BATON OFFENSIF ?

Qu’était-ce donc qu’un « volant » ? Dans le Gargantua de Rabelais (1535), le chapitre XXXV nous conte le combat opposant Gymnaste au capitaine Tripet, durant la fameuse guerre provoquée par le méchant Pichrocole. On y lit alors que Gymnaste « soudain se tournant, lança un estoc volant au dit Tripet, et ce pendant qu’icelluy se couvrait le haut, lui tailla d’un coup l’estomac… ». Gymnaste a donc lancé quelque chose – un estoc volant – à la tête de son adversaire et celui-ci, pour parer le coup, s’est découvert, ce qui a causé sa perte.

Dans sa note 10, LE DUCHAT, commentateur des Oeuvres de Rabelais (1741) le définit ainsi :  » L’estoc volant, que depuis on a tout simplement appelé « volant », était un court et gros bâton, qu’on cachait aisément sous ses habits, dans sa poche ou sous le bras, pour, dans l’occasion, jeter ce bâton à la tête ou aux jambes de son ennemi. Maître Guillaume, ce bouffon si connu à la cour du roi Henri IV, avait toujours sous sa robe un de ces bâtons volants, qu’il appelait son « oisel », parce qu’il ne manquait jamais de faire voler cet « oiseau » à la tête des pages et des laquais qui le persécutaient ordinairement. »

Plus sobre, LA CURNE DE SAINT-PALAYE, dans son  » Dictionnaire de la langue romane ou du vieux langage français » (1768) se contente de le définir comme un « gros bâton court pour se battre », sans justifier le mot par le fait qu’il était lancé, et donc qu’il volait.

Définition confirmée par SAINT-EDME dans « Amours et galanteries des rois de France », t. 1 (1830), à propos d’un « volant » qui faillit frapper Henri IV découvert en galante compagnie, et dont la mésaventure fut rapportée par un contemporain : « Ce que l’auteur appelle « volant » est une espèce de bâton-court fort gros, que l’on fait voler après la personne qu’on en veut offenser. Le baron de Foeneste parle de « vâtons bolans » tirés pour séparer un cheval et une jument. »

Un peu plus tard, Stanislas de L’AULNAYE, commentant une nouvelle édition des Oeuvre de François Rabelais (Ed. Ledentu, 1835), définit le mot « estoc » : « Estoc signifie une épée ; l’expression consacrée « d’estoc et de taille » prouve que, par estoc, on entendait particulièrement la pointe de l’arme. » En effet, dans le maniement des armes telles que l’épée et le sabre, un coup de taille est un coup porté avec le tranchant de l’arme, et un coup d’estoc, avec sa pointe.
Mais l’auteur ajoute aussitôt : « Enfin, estoc se prenait encore pour tout bâton ferré, et même pour la souche d’un arbre mort. Ce mot vient de l’italien stocco, sans qu’il soit nécessaire de remonter à l’allemand, stock, bâton. Estoc volant : estoc portatif, court et gros bâton ferré que l’on pouvait cacher sous ses habits »

On constate que le bâton (tout court) est devenu un « bâton ferré », précision absente des définitions antérieures. D’ailleurs, en 1839, Louis BARRE, dans son « Complément au Dictionnaire de l’Académie française » définit ainsi l’estoc volant : « Se disait d’un bâton ferré très court, que l’on pouvait cacher sous ses vêtements. » Cette définition est reprise dans les dictionnaires du XIXe siècle.

A peu près à la même époque, un auteur anonyme l’employait en ce sens dans son roman « Les Mauvais garçons » (1829, 2e éd. chez Eugène Renduel en 1832), qui se déroule à Paris, sous François Ier : « Et de sa main gauche il tira de sa cape un bâton noueux et ferré, semblable à ceux que portent les écoliers, qui nommaient cette arme « estoc volant ».

Mais au XXe siècle, les commentateurs de Rabelais reviennent sur cette définition. L’estoc volant n’est plus un objet, une arme, un bâton, mais un geste, une technique d’escrime.

Ainsi, Pierre MICHEL, annotant le Gargantua publié chez Gallimard en 1965, puis en Livre de Poche, donne de l’ « estoc volant » lancé par Gymnaste une définition différente puisqu’il écrit qu’il s’agit d’un « coup de pointe ». On en revient bien à la taille et à l’estoc cités plus haut.

En 1994, Marc BERLIOZ, dans « Rabelais restitué » explique comment il faut comprendre l’action de Gymnaste (p. 214) : « L’estoc volant est le coup porté en direction d’un point sans avoir l’intention de l’atteindre mais pour abuser l’adversaire ; autrement dit il s’agit de la feinte, le mouvement de la pointe de l’épée n’étant pourtant pas univoque comme celui de la lance, mais volant, c’est-à-dire voletant, laissant ainsi l’adversaire incertain du point exactement visé. »

Gymnaste aurait donc fait semblant de viser Tripet avec la pointe de son épée, en un point de son corps que ce dernier aurait voulu protéger, et il l’aurait frappé « de taille » sur l’estomac. Interprétation qui s’appuie aussi sur un texte de Noël DU FAYE, dans ses « Propos rustiques » (1547), à propos d’un villageois fanfaron qui veut épater la galerie en citant les techniques de l’escrime, parmi lesquelles « l’estoc volant » (cité par Pascal BRIOIST et al. dans « Croiser le fer » (2002).

Alors, l’estoc volant : un court bâton ferré lancé contre son adversaire ? Ou bien une technique d’escrime ? Les deux sans doute, tout dépend du contexte où le mot est placé…

Article rédigé par Laurent Bastard. Merci :)

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