L’épisode révolutionnaire de la Commune de Paris, qui suivit durant deux mois (mars-mai 1871) l’effondrement du Second Empire, donna lieu de la part des « Versaillais » à une féroce répression. Le nombre de 20 000 morts est généralement admis. Les condamnations se traduisirent aussi par la déportation de nombreux insurgés en enceinte fortifiée, c’est-à-dire en Nouvelle-Calédonie.
Il y avait des communards de diverses origines sociales sur cette île du Pacifique. La cohabitation ne fut pas toujours facile. C’est ainsi que deux d’entre eux s’affrontèrent en un duel au « bâton à pointe » à Numbo, à la veille de Noël 1872.
Henry Bauer, fils naturel d’Alexandre Dumas, était né dans une famille bourgeoise, dans un milieu aisé, disposant de moyens sur le lieu même où il dispose d’un lopin de terre sur la presqu’île Ducos.
Il fait bâtir sa case et la fait clôturer par Pierre Charbonneau. Ce dernier est un menuisier qui a fait son tour de France.
L’altercation se produit bêtement, en conviendra plus tard Bauer dans ses souvenirs (1894). « Arrosant » l’achèvement de la construction, quelques déportés, dont Charbonneau et Bauer, échangent leur point de vue sur la Commune. Charbonneau évoque la lutte des classes et dénie à Bauer le titre de révolutionnaire, lui disant qu’il était un fils de bourgeois et d’exploiteur. Bauer est courroucé. Il frappe Charbonneau au visage, qui exige réparation. Aussitôt deux témoins sont choisis par l’offensé et l’offenseur. Mais avec quelle arme vont-ils se battre ? La hache est abandonnée. On opte pour deux baguettes d’un mètre au bout desquelles sera emmanché une pointe de fer de dix centimètres.
Un procès-verbal du duel fut rédigé et Charbonneau le conserva toujours sur lui. A la publication des Mémoires de Bauer, estimant le récit de son adversaire inexact, il le fit publier dans la presse. Le voici :
« Aujourd’hui 24 décembre 1872, à cinq heures du soir, conformément aux termes du procès-verbal signé par nous dans la matinée, nous avons conduit sur le terrain désigné d’avance MM. Charbonneau et Bauer auxquels nous avons laissé ignorer jusqu’au dernier moment le lieu et l’heure du combat. (…) Les deux adversaires ont été placés en face l’un de l’autre et, au signal donné par les témoins, le combat a commencé.
Après deux passes échangées, M. Charbonneau a été atteint à la gorge d’un coup de pointe qui a porté de bas en haut ; au même instant, M. Charbonneau a saisi le poignet droit de son adversaire, lequel en faisant un effort pour se dégager, tomba à la renverse en même temps que son arme lui échappait de la main. M. Charbonneau, animé par le combat et ignorant d’ailleurs les règles du duel, allait se précipiter sur M. Bauer, quand il fut retenu par ses témoins. M. Bauer s’étant relevé et ayant ressaisi son arme, le combat a recommencé sur un second signal des témoins et après quelques passes, M. Charbonneau a été atteint une seconde fois d’un coup de pointe qui a porté dans l’articulation placée entre le pouce et l’index de la main droite.
Les témoins sont alors intervenus, ont fait cesser le combat conformément aux dispositions arrêtées par eux dans le premier procès-verbal et ont déclaré l’honneur satisfait.
Nous, témoins du combat, attestons sur l’honneur la vérité de ce qui précède et déclarons que sur le terrain, la conduite de MM. Charbonneau et Bauer a été celle d’hommes d’honneur. »
Ces baguettes emmanchées d’une pointe en fer sont la version artisanale de la canne à dard. Elles rappellent aussi celles qui sont employées dans le duel cruel qui oppose deux prisonniers des pontons anglais, dans la B.D. de François BOURGEON, « Les Passagers du vent », tome 2 : « Le ponton », p. 14-15 (Ed. Glénat, 1980).
Tout ce qui précède, ainsi que le portrait de Pierre Charbonneau, est issu de : « Charbonneau, Martelet, les oubliés de l’histoire de la Commune », présenté par René ROUSSEAU, Editions IGC, Bagneux, 1994.
Article rédigé Laurent Bastard, merci