Que signifie exactement « tirer au bâton » ? Nous devrions même écrire « que signifiait », car l’expression a vieilli depuis le milieu du XIXe siècle et n’est plus guère usitée ni comprise aujourd’hui.
De tous les dictionnaires et sites consultés, nous avons essayé de faire une synthèse des définitions rencontrées.
Au sens premier du terme, « tirer à » ou « tirer au », suivi d »un nom d’arme, signifie « s’exercer au maniement des armes (épée, fleuret, sabre), faire des armes, combattre. Tirer de tierce, de quarte. Tirer des armes. ».
Ce n’est pas tout à fait la même chose que « faire usage d’une arme de trait ou d’une arme à feu, la faire partir : tirer de l’arc, de l’arbalète. Tirer au pistolet, à la carabine. Là, on ne lance pas le bâton et il ne projette pas de balle ni de flèche.
Donc, « tirer au bâton » signifie « manier le bâton ». En voici un exemple :
- « Ils sautaient, ils dansaient et tiraient au bâton mieux que pas un des Egyptiens (…) Ils ne passèrent dans aucun endroit où il n’y eût des défis à la paume, à la lutte, à la course, au saut, à tirer au bâton, et à tels autres exercices de force et d’adresse. » (Cervantès : La jeune bohémienne ou Egyptienne, dans ses Nouvelles exemplaires, édition de 1744) ;
On reviendra plus loin sur le sens figuré de ces termes en remarquant que les mots « tirer LE bâton » semblent avoir été davantage employés que « tirer au bâton ». Peut-être s’est-il produit un phénomène d’attraction avec « tirer l’épée ». Dans ce cas, en effet, on tire (ou retire) vraiment l’épée de son fourreau ou de sa ceinture. Nous en avons trouvé de nombreux exemples :
- « Or, ceux des citadins qui ne se souciaient pas de tirer le bâton ou la rapière, de recevoir des horions, de chanter des psaumes, ou même de rencontrer leur ménagère en galante partie dans quelque cabaret du lieu, s’abstenaient prudemment d’aller prendre le frais au Pré-aux-Clercs. » (Louis Lurine : Les rues de Paris,1844, p. 238) ;
- « On disait, autrefois, tirer le bâton, la canne et la savate… » (Eugène Chapus : Le Sport à Paris, 1854) ;
- « Vous avez de l’éducation, vous devez savoir tirer le bâton… » (Alphonse Karr : La Pêche en eau douce et en eau salée, 1860, p. 10) ;
- « Et chaque soir, prends leçon pour tirer le bâton… » (G. de la Landelle : La lettre du mousse, 1862) ;
- « Quoi, tu veux, seulement armé de cette barre de fer… – Je suis serrurier, c’est mon arme, mon poignet est solide et je sais tirer le bâton. » (Eugène Sue : Les Mystères du peuple, 1865, p. 410) ;
- « Depuis plus de six mois, chaque jour, à ses moments perdus, il s’amusait à nous faire tirer le bâton et la canne, à mon frère et à moi. » (Ernest Feydeau : Théophile Gautier, 1874, p. 80).
Revenons à l’expression « tirer AU bâton », qui a aussi, sinon davantage, été employée dans un sens figuré. Le Dictionnaire de l’Académie française, dans son édition de 1765 la définit ainsi : « Tirer au bâton, au court bâton avec quelqu’un », pour dire contester, disputer avec lui pour quelque chose. Voulez-vous tirer au bâton, au court bâton avec votre maître ? »
Les éditions ultérieures donnent presque la même définition, qui sera reprise jusqu’à la fin du XIXe siècle (1878), époque où l’expression était devenue désuète : « On dit figurément et familièrement « tirer au bâton », « tirer au court bâton » avec quelqu’un : contester avec lui d’égal à égal. « Il ne vous appartient pas de tirer au bâton avec lui ». Et il ne se dit que d’un homme qui est inférieur à celui avec lequel il conteste dans la chose dont il s’agit. »
Voici des exemples qui vont illustrer cette définition :
- « Le souverain, ainsi comme le grand ressort, doit faire aller d’un même temps les divers mouvements de la machine de l’empire, où si les uns présument tant de les vouloir conduire tous et entreprennent sur les charges des autres, c’est tirer au bâton, tout y demeure court ou le désordre et la confusion se pêlent-mêlent aux affaires du prince ». (Journal de Jean Héroard sur l’enfance et la jeunesse de Louis XIII (1601-1628), publié par E. Soulié, 1868, p. 388) ;
- « La jalousie et le désir de vengeance de ces deux dames, qui semblaient tirer au bâton pour se perdre l’une l’autre… » (Mémoires de Valentin Conrard, premier secrétaire perpétuel de l’Académie française (1603-1675), dans Petitot : Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France, 1825) ;
- « Il devait réfléchir qu’il ne faut jamais s’aviser de tirer au bâton avec son maître, et d’exiger de lui ce que l’on doit attendre avec patience de sa bonté ». (Eustache Le Noble, Oeuvres, vol. III, 1718, p. 43) ;
- » Mais comme la Reine Mère ne voulut pas donner sa démission, en disant : N’est-ce pas assez d’honneur pour lui d’être mon lieutenant ?, le Duc n’osa pas tirer au bâton avec elle ». (Abbé Choisy : Mémoires pour servir à l’histoire de Louis XIV, 1727) ;
- « Un petit misérable, né de quelque servante ou d’un valet d’étable (…) avec moi veut tirer au bâton ! » (Montfleury : La Dame médecin, comédie, 1775) ;
- « Le duc de Savoie, venu en France du temps du roi Henri IV, ayant dispute avec Henri de Bourbon, prince de Condé, à la porte de l’antichambre du roi, où ils voulaient entrer tous deux l’un devant l’autre : le roi, arrivant au bruit, et prenant le prince par la main : « Passez, Monsieur », lui dit-il, et au duc de Savoie : « A quoi donc pensez-vous, Monsieur le duc, de vouloir tirer au bâton avec quelqu’un qui peut un jour devenir votre maître ? » (Pièces intéressantes et peu connues pour servir à l’histoire et à la littérature, 1788, p. 343).
Ce petit florilège permet de constater la disparition d’une vieille expression imagée, qui n’a plus son équivalent aujourd’hui, car « chercher des crosses », « chercher des poux dans la tête » et autres, ne renvoient plus à une hiérarchie entre les deux personnes qui sont en opposition.
Article rédigé par Laurent Bastard. Merci
J’aimerais tout de même ajouter que nous utilisons toujours le terme de « tireur » lorsque nous faisons des assauts (des échanges) entre cannistes ou bâtonnistes. « Les deux tireurs, en place, saluez vous ! » FM