Voici la suite du chapitre que Paul SEBILLOT a consacré aux fontaines, dans son livre sur « Le Folklore de France », volume sur « Les eaux douces » (1904-1906), réédité en 1983.
« Dans les exemples qui suivent, les thaumaturges, au lieu de frapper simplement la terre, la percent en quelque sorte.
Grégoire de Tours rapporte un de ces miracles : « Lorsque l’évêque Aredius allait en pèlerinage au tombeau de saint Julien, il se trouva dans un lieu dépourvu d’eau : ayant fait une prière, il enfonça son bâton dans le sol, et, après l’avoir tourné trois fois en rond, il le retira, et une source jaillit. »
Ce mouvement de tarière ne figure pas dans les autres récits, où les saints se contentent de faire une ponction dans la terre.
C’est ainsi que procéda saint Loup, suivant le « Discours des Antiquités de Châlon » (1581) par le P. de Saint-Julien de Balleure : « Estant en sa baronnie du Boyer, il fit sortir d’une terre aride la fontaine ditte de sainct Loup, en y plantant et comme perceant la place du baston sur lequel il estoit coustumier de s’appuyer. »
A Chelun, saint Roch piqua son bourdon dans le sol et en fit sourdre une fontaine intarissable pour remercier une vieille femme qui, afin de lui donner à boire, avait été chercher de l’eau à plusieurs kilomètres de là.
En Bretagne, saint Roch, saint Méen, saint Viaud procurent de la même façon aux ouvriers qui construisaient leurs chapelles l’eau potable qu’on ne trouvait pas aux environs.
Une ancienne vie de saint Goulven rapporte qu’au moment de la naissance de ce bienheureux, son père manquant d’eau pour le baptiser adressa à Dieu une fervente prière, et dès qu’il eût planté son bâton en terre, il jaillit une fontaine limpide que l’on voyait encore en Plouider.
Lorsque Jésus, avait de monter au Calvaire, vint en Bretagne demander la bénédiction de sa grand-mère sainte Anne, il enfonça son bâton dans le sol et la source de Sainte-Anne la Palud se montra.
Saint Corentin, saint Armel opérèrent des miracles semblables.
Un jour que saint Desle s’était égaré, il pria un pâtre de le remettre dans sa route. Celui-ci ayant répondu qu’il ne pouvait abandonner son troupeau, le sait prit la houlette du berger et la planta en terre, assurant que le bétail ne s’en écarterait pas. A son retour, le pâtre retrouva en effet son troupeau, et quand il eut arraché le bâton, il vit sortir du trou la source abondante appelée aujourd’hui fontaine Saint-Desle (Haute-Saône).
Le portier du monastère de Saint-Evroult venait de refuser l’aumône à un pauvre, parce qu’il ne restait plus qu’un demi-pain à l’abbaye, lorsque saint Evroult survint, lui reprocha son manque de charité, et l’envoya porter au mendiant le reste du pain ; celui-ci enfonça son bourdon dans la terre, et lorsqu’il l’en retira il jaillit une source qui depuis n’a cessé de couler.
Dans la vallée de la Valsérine (Ain), saint Roland fit sourdre la fontaine Bénite, en plaçant son bâton au milieu des cailloux.
Saint Rouin, à Resson (Meuse), saint Hodelin à Blanchemont, province de Namur, enfoncent le leur dans le sol et il en sort aussitôt une source abondante.
D’après une tradition, Godelive, née au château de Longfort dans le Bourbonnais, avant de partir avec Bertolf, seigneur de Ghistelles, pour le château de Ghistelles, planta dans un petit bois, voisin de la demeure de son père, la quenouille dont elle se servait, et une source jaillit à l’instant même à cet endroit.
Le miracle qui suit diffère des autres en ce que l’acte après lequel il se produit n’a pas eu pour but exprès de procurer de l’eau. Un jour de grande chaleur, le saint homme Thomas Hélie s’était assis au bas de la lande de Viville (Basse-Normandie) pour s’y reposer, et il avait piqué son bâton dans la terre : « Comme j’ai soif ! » s’écria-t-il. Il voulut cependant continuer son chemin, mais en retirant son bâton, il vit sortir du trou une source à laquelle il se désaltéra. »
Paul SEBILLOT aborde ensuite les légendes où les sources ne naissent plus d’un bâton mais d’autres instruments : bêche, épée, lance, marteau, ou simplement au contact du corps d’un saint, de sa main ou de son pied, etc. Restons-en au bâton.
L’illustration représente saint Evroult, l’un des saints ayant fait sourdre une fontaine avec son bâton, ou plutôt par l’intercession du bourdon d’un mendiant. Il s’agit d’une statue du XVIIe siècle conservée dans l’église de Saint-Evroult-Notre-Dame-du-Bois (Orne). La photo est extraite de la revue « Art de Basse-Normandie », n° 41 de 1966.
Article rédigé par Laurent Bastard, merci