Qui n’a entendu parler de la Bête du Gévaudan, ce loup effrayant et redoutable qui terrorisa en 1764-1767 cette partie de l’actuel département de la Lozère ? Gaston LENOTRE, pour le magazine « Lectures pour tous » d’août 1910, a donné une relation des évènements.
Un épisode nous intéresse car il montre qu’un bâton judicieusement manié peut écarter le danger quand il est tenu d’une main ferme.
« A cette époque – janvier 1765 – se place un incident qui mit en émoi tout le pays. Le 12, un jeune berger du village de Chanaleilles, âgé de douze ans et nommé André Portefaix, gardait des bestiaux dans la montagne. Il était accompagné de quatre camarades et de deux fillettes plus jeunes que lui : par crainte de la Bête, les enfants s’étaient armés de bâtons, à l’extrémité desquels ils avaient fiché des lames de couteaux. L’une des petites, soudain, poussa un cri : la Bête venait de surgir d’un buisson à quelques pas d’elle.
André Portefaix groupe tout son monde, les plus forts en avant, protégeant le reste de la troupe ; le monstre tourne autour d’eux, la gueule écumante. Les braves petits, serrés l’un contre l’autre, font le signe de la croix et cherchent à se défendre à coups de leurs épieux ; mais la Bête, s’élançant, saisit l’un des enfants à la gorge et l’emporte : c’est le petit Panafieux, qui a huit ans. Portefaix, héroïquement, se lance à la poursuite du fauve, le larde de coups de couteau, le force à lâcher sa proie : Joseph Panafieux en est quitte pour une joue arrachée que la Bête, en trois coups de dents, mange sur place ; mise en goût, elle attaque une seconde fois le groupe terrifié, renverse l’une des fillettes d’un coup de son horrible museau, mord un des garçons à la lèvre – il s’appelait Jean Veyrier – le saisit par le bras et l’entraîne.
Un autre, qui a trop peur, crie qu’il faut sacrifier celui-là et profiter, pour s’enfuir, du temps que la Bête mettra à le manger. Mais Portefaix déclare qu’ils sauveront leur camarade ou qu’ils périront tous. Ils le suivent, même Panafieux qui n’a plus qu’une joue, et que le sang aveugle ; tous, hardiment, piquent la Bête, cherchant à lui crever les yeux, ou à lui couper la langue ; ils l’acculent dans un bourbier, où, s’enlisant, elle lâche l’enfant qu’elle tient. Portefaix se jette entre elle et lui, cogne à grands coups de bâton sur le groin du monstre qui recule, se secoue, et s’enfuit…
Le procès-verbal authentique de cet exploit fut envoyé à Mgr l’évêque de Mende, qui l’adressa au roi ; Celui-ci décida que chacun des sept petits paysans de Chanaleilles toucherait trois cents livres sur sa cassette et que le jeune Portefaix serait élevé aux frais de l’Etat. Il fut placé quelques mois plus tard chez les Frères de Montpellier : disons, pour ne plus y revenir, qu’après de brillantes études, il entra dans l’armée et mourut, en 1785, lieutenant d’artillerie coloniale. »
L’article de « Lectures pour tous » est illustré d’une composition de H. VOGEL où l’on voit les enfants assister à la lutte d’André Portefaix, armé d’un bâton, et de la Bête du Gévaudan. Nous avons recadré sur la scène centrale.
Article rédigé par Laurent Bastard, merci