Le sens des mots et des expressions évolue avec le temps d’une façon assez surprenante. Prenons l’exemple de l’expression « piquer son chien ». Aujourd’hui, le plus souvent précédée du verbe « faire » (faire piquer son chien), elle signifie l’emmener chez un vétérinaire qui va lui injecter avec une seringue (le « piquer ») une substance pour mettre fin à ses jours.
Au XIXe siècle, « piquer son chien » n’avait pas le même sens. Leur seul point commun n’était que le sommeil, éternel comme ci-dessus, ou momentané comme l’explique Eman MARTIN dans son livre « Origine et explications de 200 locutions et proverbes » (1888).
« PIQUER SON CHIEN. Pourquoi « piquer son chien » signifie-t-il s’endormir ? La pièce intitulée l’ « Aveugle de Montmorency », pièce qui fut jouée pour la première fois à Paris le 6 mars 1823, serait, d’après Joachim Duflot, le point de départ de ce dicton.
Le personnage qui fait l’aveugle tient à ne pas s’endormir ; et, pour atteindre son but, il arme le bout de son bâton d’une pointe de fer qui, chaque fois que le sommeil le gagne et imprime à son corps un mouvement, va piquer son vigilant gardien, placé entre ses jambes.
Le moyen employé par l’aveugle pour se tenir éveillé a naturellement donné lieu, au théâtre, à l’expression « piquer son chien », avec le sens de s’endormir, et de là, comme tant d’autres que la scène a vues naître, cette expression a passé dans le public. »
Les dictionnaires d’argot et de langue populaire (La Rue, 1894 ; Rigaud, 1888 ; Virmaître, 1894) définissent l’expression de la même façon : dormir pendant le jour. La Rue indique la variante des tailleurs : « piquer sa plaque ». Les Mayennais et les Sarthois disaient pour leur part « piquer des pois, ou des choux, pour signifier : s’endormir à table. Il y a aussi « piquer un roupillon », pour dire « faire une sieste », qui a définitivement supplanté « piquer son chien ». L’expression serait aujourd’hui fort mal comprise si un convive l’employait à la fin d’un bon repas…
Article rédigé par Laurent Bastard, merci