La conquête de l’Angleterre par Guillaume, duc de Normandie, et son accession au trône en 1066 sous le nom de Guillaume Ier, entraînèrent une profonde transformation des institutions anglo-saxonnes. Les évêques, nommés par le pouvoir royal, furent démis de leurs fonctions les uns après les autres. Sauf un : Wulfstan, évêque de Worcester. Il témoigna de sa résistance avec son bâton pastoral.
Laissons l’historien Augustin THIERRY (1795-1856) nous raconter l’épisode dans son « Histoire de la conquête de l’Angleterre » (1825), dont l’extrait qui suit est issu de la 3e édition (1830) consultable via Google livres.
« Toute l’autorité religieuse avait aussi passé aux mains d’hommes de nation étrangère ; et des anciens prélats saxons il ne restait plus que Wulfstan, évêque de Worcester.
C’était un homme simple et faible d’esprit, incapable de rien oser, et qui, ainsi qu’on l’a vu plus haut, après un moment d’entraînement patriotique, s’était réconcilié, de tout son cœur, avec les conquérants. (…) Mais il était de race anglaise ; son jour vint comme était venu celui des autres.
Dans l’année 1076, Wulfstan fut cité devant un concile d’évêques et de seigneurs normands, réunis dans l’église de Westminster, et présidé par le roi Guillaume et l’archevêque Lanfranc. L’assemblée déclara unanimement que le prélat saxon était incapable d’exercer en Angleterre les fonctions épiscopales, attendu qu’il ne savait pas parler français. En vertu de cet arrêt bizarre, le roi et l’archevêque ordonnèrent au condamné de rendre le bâton et l’anneau, insignes de sa dignité.
L’étonnement et l’indignation d’être si mal récompensé inspirèrent à Wulfstan une énergie toute nouvelle pour lui ; il se leva, et, tenant à la main son bâton pastoral, marcha droit au tombeau du roi Edward, enterré dans l’église. Là, s’arrêtant, et s’adressant au mort en langue anglaise : « Edward, dit-il, c’est toi qui m’as donné ce bâton ; c’est à toi que je le rends et le confie. » Puis se tournant vers les Normands : « J’ai reçu cela de qui valait mieux que vous ; je le lui remets, ôtez-le lui si vous pouvez. » En prononçant ces derniers mots, le Saxon frappa vivement la pierre de la tombe avec la pointe du bâton pastoral. Son air et ce geste inattendu produisirent sur l’assemblée une grande impression de surprise, mêlée d’un effroi superstitieux : le roi et le primat ne réitérèrent point leur demande, et laissèrent le dernier évêque anglais garder son bâton et son office.
L’imagination populaire fit de cette aventure un prodige, et l’on répandit la nouvelle que le bâton pastoral de Wulfstan, quand il en frappa la pierre, s’y était enfoncé profondément, comme dans une terre molle, et que personne n’avait pu l’en arracher, excepté le Saxon lui-même, lorsque les étrangers eurent révoqué leur sentence. »
Cet épisode n’est pas sans analogie avec celui de l’épée Excalibur, plantée dans une enclume, que seul le futur roi Arthur parvient à retirer. Il est aussi à rapprocher des légendes de bâtons plantés qui s’accompagnent d’un ordre, d’un interdit, d’une limite, et que seul celui qui a les qualités et les vertus nécessaires, peut retirer ou s’affranchir du caractère magique du dit bâton. On mesure également toute l’importance attribuée au bâton des évêques, qui parfois font sourdre de l’eau d’un rocher, repoussent le diable, guérissent les malades ou même ressuscitent les morts. Nous en avons donné de nombreux exemples sur ce blog.
Wulfstan est un personnage historique même si l’épisode du bâton qui s’enfonce dans la pierre est plus que douteux. Né vers 1008, il mourut le 19 ou 20 janvier 1095. Il fut évêque de Worcester de 1062 à 1095.
Article rédigé par Laurent Bastard, merci