Dans le nord et l’est de la France se répétait de génération en génération un petit conte en forme de poème, dont la trame, malgré quelques différences locales, était à peu près la même. Louis de Baecker l’a rapporté dans son étude « De la religion du nord de la France avant le christianisme » (1854), p. 125-127. Un bâton intervient, mais ce bâton, comme tous les autres éléments du conte, refuse d’obéir :
« Pouledine et Pouledane allaient ensemble ramasser du bois. Lorsqu’ils eurent longtemps marché, Pouledine ne voulut pas s’en retourner sans être portée.
Il vint là un grand chien : chien, chien, mords Pouledine ; le chien ne voulut pas mordre Pouledine, et Pouledine ne voulut pas s’en retourner sans être portée.
Il vint là un grand bâton : bâton, bâton, frappe le chien ; le bâton ne voulut pas frapper le chien, le chien ne voulut pas mordre Pouledine, et Pouledine ne voulut pas s’en retourner sans être portée.
Il vint là un grand feu : feu, feu, brule le bâton ; le feu ne voulut pas brûler le bâton, le bâton ne voulut pas frapper le chien, le chien ne voulut pas mordre Pouledine, et Pouledine ne voulut pas, etc. »
Interviennent ensuite beaucoup d’eau, qui ne voulut pas éteindre le feu, un grand boeuf, qui ne voulut pas boire l’eau, une grande corde, qui ne voulut pas lier le boeuf, un grand rat, qui ne voulut pas ronger la corde, et un grand chat, qui ne voulut pas prendre le rat. Mais l’histoire prend fin :
« Il vint un vieux petit homme ; petit vieillard, petit vieillard, prends ce chat ; le petit vieillard courut après le chat, le chat après le rat, le rat après la corde, la corde après le boeuf, le boeuf après l’eau, l’eau après le feu, le feu après le bâton, le bâton après le chien, le chien après Pouledine, et Pouledine courut vite, à la maison. »
L’auteur émet l’hypothèse suivante : « Dans ce récit, les éléments et les êtres sont conjurés. Ils sont sous l’empire d’un sortilège ; ils n’en sont délivrés que par l’intervention d’un petit vieillard qui rappelle le dieu du Nord, Woden, le grand conjurateur ». De Baecker signale une variante vosgienne, où il s’agit de faire sortir un loup du bois et où s’enchaînent un chien, un bâton (encore !), le feu, l’eau, un veau, un boucher, et c’est lui qui fait enfin aller tous les éléments pour faire sortir le loup.
Une autre variante a été rapportée récemment par Irène Hunt dans ses « Beaux contes célèbres », joliment illustrés par
Frederick Richardson. Publié d’abord aux Etats-Unis en 1972, il a été traduit en français et publié chez Fernand Nathan en 1992.
Cette fois-ci, il s’agit d’un cochon qui ne veut pas suivre une fermière, et personne ne veut lui obéir, ni le chien, ni le bâton pour frapper le chien, ni la flamme pour brûler le bâton, ni l’eau pour éteindre le feu, ni le boeuf pour la boire, ni le boucher pour enfermer le boeuf, ni la corde pour fouetter le boucher, etc.
L’illustration de cet article est celle de ce livre, qui nous montre le bâton refusant d’intervenir.
Article rédigé par Laurent Bastard. Merci