Entre 1924 et 1939, le folkloriste et ethno-musicologue Pierre-Louis MENON enquêta en Brie pour recueillir les danses et les chants qui y étaient encore pratiquées. Son travail donna lieu à un article intitulé « Des chants du terrouer de Brye » qui furent réédités et complétés en 1966 dans les Mémoires n° VI de la Fédération folklorique d’Ile-de-France, avec une préface de Roger LECOTTE.
Y figure, p. 41-42, la « Ronde de la houlette » qui suit.
« RONDE DE LA HOULETTE
Les femmes, en Seine-et-Oise, avaient coutume, si on en croit Sébillot, lorsqu’un enfant souffrait d’une hernie, de le déposer sous un chêne et de danser une ronde autour de lui et de l’arbre. Cette façon d’inscrire quelqu’un ou quelque chose dans le cercle magique et vivant de la ronde semble aussi vieille que l’homme lui-même. Une peinture rupestre à Cogul, dans la province de Lerida en Espagne, ne nous montre-t-elle pas déjà, et d’une façon distincte, neuf personnes, sans doute des femmes, dansant autour d’un homme. C’est le même thème de scénario que nous propose la Ronde enfantine de la houlette.
Les enfants forment une ronde au centre de laquelle se tient une fille un bâton à la main. A chaque refrain un garçon sort de la ronde et va chercher le bâton (la houlette) qui lui est refusé.
Sur le chant de « l’Amusette », la ronde tourne très rapidement et, dès qu’elle est terminée, la houlette est remise par l’enfant qui se tenait au milieu de la ronde, au garçon de son choix. Il prend place à son côté pour le dernier couplet de la ronde, dont le refrain se trouve modifié du fait de la restitution de la houlette.
La ronde, comme toutes les danses, procède de l’extase : l’adulte qui danse, comme l’enfant qui sautille, s’oublient, se détachent des ennuis terrestres et journaliers, des soucis quotidiens. C’est le rôle que semble tenir ici « l’Amusette », sur le chant de laquelle la ronde s’accélère, facilitant l’évasion spirituelle.
I
J’aimons la bell’ Perrette
Perrette
La si gente bergerette
Qui m’engarde ma houlette
Refrain :
Hella, Hella,
Ma houlette me rendra
II
Je vons vouër la Perrette
Perrette
Houlette ne veut bailler
D’vant que baillons le lait
Refrain
III
Je vons vouër vache Blanchette
Blanchette
Qui ne veut bailler son lait
D’vant que baillons l’herbette
Refrain
IV
Je vons vouër dans la grand’prée
Herbette
Herbette ne veut bailler
D’vant que baillons la faux
Refrain
V
Je vons vouër le taillandier
Faucette
Faucette ne veut bailler
D’vant que baillons le lard
Refrain
VI
Je vons vouër mon biau couchon
Lardette
Lardet point veut bailler
D’vant que baillons les glands
Refrain
VII
Je vons vouër nout’ grand’ chêne
Chênette
Nenni gland veut bailler
D’vant que souffle le vent !
AMUSETTE
J’vons vouër les airs
Les airs m’en vent
J’en vent le chêne
Le chêne m’en gland
J’en gland couchon
Couchon m’en lard
J’en lard taillandier
Taillandier m’en faux
J’en faux ma prée
Ma prée m’en herbe
J’en herbe ma vache
Ma vache m’en lait
J’en lait Perrette !
VIII
La gente bergerette
Perrette
M’a baillé ma houlette
Je marierons la Perrette
Dernier refrain :
Hella, hella
Ma houlette a deux l’on l’a. »
Que nous raconte cette chanson ? Un garçon est amoureux d’une bergère qui lui a pris sa houlette. Il veut la lui reprendre mais la belle refuse de la lui bailler (donner) s’il ne lui donne du lait. Or la vache refuse si elle n’a pas d’herbe. L’herbe ne veut pas être coupée sans une faux. Le taillandier (forgeron en outils coupants et taillants) ne veut pas lui donner une faux sans un morceau de lard. Et le cochon refuse son lard si on ne lui donne pas des glands. Le chêne refuse ses glands si le vent ne les fait pas tomber. Alors le berger amoureux invoque les airs et tout rentre dans l’ordre : le vent fait tomber les glands, qui nourrissent le cochon, qui donne son lard au taillandier, qui fournit une faux, qui coupe l’herbe, que mange la vache, qui donne son lait et le berger l’offre à sa « gente bergerette », qui lui rend sa houlette. et tous deux se marient… Une jolie chanson pour nous dire que l’amour se mérite par une véritable quête ou conquête.
Sur la houlette de berger voir l’article : Le bâton ou houlette de berger.
Article rédigé par Laurent Bastard, merci