Alexandre DUVAL (1767-1842), auteur dramatique, acteur et académicien français (1812) a écrit une comédie intitulée « La manie d’être quelque chose ou le Voyage à Paris » (1822).
C’est l’histoire de Gercourt, homme désargenté, qui reçoit son riche cousin, M. Gérard, sa femme et sa fille. S’il épousait cette dernière, il pourrait, grâce à la dot, retrouver son rang. Il convainc son valet Rafin de se faire passer pour un homme influent afin d’impressionner les Gérard, et lui donne ses derniers deniers pour qu’il s’habille richement. L’heure est aux comptes entre les deux hommes (acte II, scène II, p. 113-114) :
GERCOURT. « Une canne à pomme d’or, soixante-douze francs. » Maraut, de quelle utilité peut être une canne au rôle que tu dois jouer ?
RAFIN. Il faut l’avouer, vous avez bien peu de connaissance du monde : je sens du courroux d’être obligé de justifier de l’emploi de vos fonds. Oui, monsieur, j’ai acheté une canne, parce qu’une canne, et surtout une canne à pomme d’or, donne je ne sais quoi de noble à la physionomie. Avez-vous jamais vu un grand politique, un grand nouvelliste sans canne ? Voyez à quoi elle est utile : conte-t-on quelque chose d’intéressant ? Je deviens auditeur attentif ; j’appuie mon menton sur la pomme, et d’un mouvement de tête, j’approuve ou désapprouve ce qu’on dit. Parle-t-on de guerre, de batailles ? du bout de ma canne je trace quelques lignes sur le sable, je retranche le camp ennemi, j’opère le passage du Rhin ; de là je vais prendre Berlin, et tout cela dans un petit carré d’un pied. Enfin, monsieur, les avantages d’une canne sont incalculables, et qui n’a pas de canne, ne peut pas être né nouvelliste, ni politique, ni même utile à la patrie.
GERCOURT. Ah ! que n’en ai-je une à présent ; prête-moi un peu la tienne.
RAFIN. Pour quoi faire ?
GERCOURT. Pour punir tes sottises, maroufle !
Ce qu’exprime Rafin est bien vu. Au-delà de l’exagération comique, il montre bien que la canne était devenue l’accessoire des hommes de qualité, un élément vestimentaire attestant l’élégance et le haut rang social. C’était un substitut de l’épée, que la Révolution avait fait disparaître. La canne prolongeait par ailleurs les émotions et était un moyen d’expression, comme d’autres parlent avec leurs mains, grimacent ou soulèvent leurs sourcils.
La gravure illustrant cet article n’a pas de lien direct avec l’oeuvre de Duval. Elle nous montre l’homme élégant du XIXe siècle, en l’occurence Louis-Napoléon Bonaparte, président de la IIe République. La canne fait partie de son habit. (Revue comique à l’usage des gens sérieux, 1849)
Article rédigé par Laurent Bastard. Merci