En 1853, George SAND (1804-1876) publie son roman « Les Maitres sonneurs », qui évoque le monde des cornemuseux berrichons et bourbonnais à la fin du XVIIIe siècle.
A la « Quinzième veillée », elle décrit la rencontre d’un groupe de muletiers avec des bûcherons occupés à faire la fête, un soir. Lors d’une danse, l’un des muletiers, Malzac, se conduit effrontément avec une jeune fille de l’autre groupe et se trouve malmené par Huriel et Tiennet, deux bûcherons, avec lesquels il s’est déjà querellé.
Huriel déclare : « Malzac m’a, par trois fois, dit que je mentais, et menacé personnellement. (…) Comme je m’en trouve offensé et déshonoré, je réclame le droit de bataille, selon la coutume de notre ordre. » La querelle se vide donc par un combat au bâton.
Voici un extrait de ce chapitre :
« Archignat consulta tout bas les autres muletiers, et il paraît que tous approuvèrent Huriel, car ils se formèrent en rond, et le chef dit un seul mot : – Allez !
Sur quoi Malzac et Huriel se mirent en présence.
Je (Tiennet) voulais m’y opposer, disant que c’était à moi de venger ma cousine, et que la plainte que j’avais portée était d’une plus grande conséquence que celle d’Huriel ; mais Archignat me repoussa, en disant :
- Si Huriel est battu, tu te présenteras après lui ; mais si c’est Malzac qui a le dessous, il faudra bien que tu te contentes de ce que tu auras vu faire. (…)
Je ne savais point quel serait le combat et je regardai bien, pour n’être pas pris au dépourvu quand mon tour viendrait. On avait allumé deux torchères de résine et mesuré, avec des pas, la place dont les deux combattants ne devaient point sortir. On leur donna à chacun un bâton de courza (houx) noueux et court, et le Grand Bûcheux assista maître Archignat dans toutes ses préparations avec une tranquillité qu’il n’avait guère dans le coeur et qui faisait de la peine à voir.
Malzac, petit et maigre, n’était pas aussi fort qu’Huriel, mais il était plus vif de ses mouvements et connaissait mieux la bataille ; car Huriel, encore qu’adroit au bâton, était d’un naturel si bon, qu’il avait eu bien peu souvent l’occasion de s’en servir. (…)
Pendant deux ou trois minutes, qui me parurent des heures d’horloge, aucun coup ne porta, étant bien paré de part et d’autre ; enfin, on commença à entendre que le bois ne frappait plus toujours le bois, et le bruit sourd que faisaient ces bâtons sur les corps qu’ils rencontraient me donnait, chaque fois, une sueur froide.
Dans notre pays, on ne se bat jamais comme cela, dans les règles, avec d’autres armes que les poignets, et je confesse que je n’avais pas l’esprit endurci à l’idée des têtes fendues et des mâchoires brisées. Jamais temps ne me paru plus long et souffrais pire que dans cette occasion-là. A voir Malzac si adroit, je tremblais de peur pour moi aussi peut-être ; mais, en même temps, j’avais tant de rage de ne pouvoir m’en mêler, que, si on ne m’eût retenu, je me serais jeté au milieu.
La chose me faisait dégoût, malice et pitié, et pourtant, j’ouvrais la bouche et les yeux pour n’en rien perdre, car le vent secouait les torches, et, par moments, on ne voyait quasi plus rien qu’un moulinet blanchâtre autour des batailleurs ; mais, voilà que l’un des deux fit entendre un soupir comme celui d’un arbre cassé en deux par un coup de vent, et roula dans la poussière.
Lequel était-ce ? Je ne voyais plus, j’avais des orblutes (petites boules colorées) dans les yeux ; mais j’entendis la voix de Thérence qui disait : – Dieu soit béni, mon frère a gagné !
Je recommençai à voir clair. Huriel était debout et attendait, en franc compagnon, que l’autre se relevât, sans pourtant l’approcher, dans la crainte d’une trahison dont il le savait bien capable.
Mais Malzac ne se releva point, et Archignat, faisant défense à personne de bouger, l’appela par trois fois. Il n’en eut point de réponse et s’avança jusqu’à lui, disant :
- Malzac, c’est moi, ne touchez point !
Malzac ne parut pas en avoir grande envie, car il ne se mut non plus qu’une pierre ; et le chef, se penchant sur lui, le toucha, le regarda, et, appelant par leurs noms deux muletiers, leur dit :
- C’est partie perdue pour lui ; faites ce qui est à faire.
Aussitôt ils le prirent par les pieds et la tête, et s’en allèrent, toujours courant, suivis des autres muletiers, qui s’enfoncèrent dans la forêt, défendant à tout ce qui n’était pas de leur bande de s’enquérir du résultat de l’affaire. »
Article rédigé par Laurent Bastard. Merci