En 1894, le compagnon charpentier du Devoir Joseph BOUAS dit Saint-Lys la Fidélité remarque dans ses Mémoires (publiées en 2014 aux Editions Garae, p. 139) que « Tout était motif de réjouissance » et que « lorsqu’on achetait la canne, on arrosait la canne ».
Dans le journal « Le Ralliement des Compagnons du Devoir » du 22 avril 1900 un autre compagnon raconte : « Maintenant, je serais content que vous portiez à la connaissance du Tour de France le résultat d’une petite réunion qui avait pour but l’arrosage d’une canne compagnonnique par la coterie Tréhis dit Angevin la Clef des Coeurs, compagnon passant charpentier bon drille du Devoir. » Le narrateur explique ensuite qu’il s’agissait d’une réunion amicale groupant des compagnons du Devoir de divers métiers, au cours de laquelle les uns et les autres ont organisé un banquet, trinqué et chanté en l’honneur de la canne qui venait d’être achetée par son camarade charpentier.
Pour sa part, le compagnon maréchal-ferrant Abel BOYER dit « Périgord Coeur Loyal », se souvient qu’étant à Nîmes en 1901 : « Ce soir-là, je fis l’acquisition de ma canne, un beau jonc rouge à embout argenté qui ne devait plus me quitter et dont j’étais fort fier. On l’arrosa, comme de bien entendu ». Et de nous raconter qu’avec ses camarades, ils passèrent du bon temps à boire et à s’amuser comme des fous. (Le Tour de France d’un Compagnon du Devoir, éd. 1977, p. 102)
Simple réunion entre amis « pour fêter ça », comme on « arrose » une nouvelle voiture, une promotion ou toute autre bonne nouvelle ou acquisition en dehors du Compagnonnage ? Pas sûr, à en juger par un autre article du journal « Le Ralliement », publié le 15 août 1907.
Le même Tréhis, compagnon charpentier, raconte qu’il a fait un petit banquet avec les compagnons de la ville de Seiches, en Maine-et-Loire, en l’hôtel-restaurant du Cheval-Blanc, tenu par le compagnon cordonnier Bussonnais. Il y avait là 3 ou 4 couvreurs, 3 charpentiers, un maréchal, un charron, un cordier, réunis pour boire et manger entre « pays » et « coteries » (frères, selon le vocabulaire du Compagnonnage, les uns travaillant au sol, les autres sur les échafaudages).
Et voici le passage qui nous intrigue, dont nous soulignons les mots qui nous sont obscurs :
« Au milieu du banquet une surprise nous était réservée, ce fut le baptême d’un jonc et la cérémonie fut faite selon le rite. L’amphitrion était un Bon Drille charpentier tourangeau, Nail, de Chemillé-sur-Dême, momentanément à Seiches, occupé à d’importants travaux au château du Verger.
La canne a été présentée par le parrain Orgerie, compagnon charron de Corzé et le maître du Cheval-Blanc. Je dois vous dire que tous les compagnons présents étaient à cheval (tout bon entendeur comprend).
L’ablation fut faite par un jeune compagnon dont le père était présent et très connu sur le tour de France. Son nom est très enviable, Lecoq de Saint-Sylvain, compagnon maréchal du Devoir (…).
Ensuite la coterie Leroy, compagnon charpentier de Corné, qui s’est fait entendre dans son répertoire, a chanté le poète Vendôme dans ses meilleures chansons. (etc.) »
Ici, il semble bien que le « baptême d’un jonc » était quelque peu ritualisé. Ledit jonc avait un « parrain » et il est question d’une « ablation », tous les compagnons étant « à cheval ».
Nous n’avons rien trouvé dans les règlements des compagnons. Peut-être s’agissait-il d’une coutume transmise oralement, d’un rituel élaboré spontanément. Est-il encore pratiqué ? Quand s’est-il éteint ? Mystère…
Si un lecteur en sait davantage, sa contribution sera la bienvenue.
La photo est celle d’un compagnon maréchal-ferrant du Devoir à Marseille en 1912, qui tient sa canne de jonc.
Article rédigé par Laurent Bastard, merci