Voici de larges extraits des chapitres XXX et XXXI des Mémoires de Chodruc-Duclos (1843), au cours duquel il décrit le duel au bâton qui l’oppose à Tellim. Chodruc-Duclos ne sait pas manier le bâton. Son ami se propose de le remplacer ou au moins de lui apprendre quelques « coups fourrés », mais il refuse, hautain. Heureusement, sa force et sa colère finissent par triompher de son adversaire.
« Ce que j’ai décidé une fois est bien décidé : des pistolets et des bâtons pour vous, c’est encore trop noble. Vous, Tellim, je sais que vous avez pris leçon, à bordeaux, de tous les genres d’escrime, jusqu’à la canne et à la savate (…) Je vous fais beau jeu, car je n’ai brandi jamais la canne et la savate que sur vos semblables, or, je fraie peu avec la livrée, peu avec la race canine » (…)
A nous deux, mon petit bijou, voici deux rotins, faites votre choix (…)
Au-dessus de sa tête je faisais vibrer une des deux armes que je venais de ramasser dans une convulsion de colère. Ses témoins me retinrent, mais l’allocution que je lui avais lancée sur un ton d’assez brusque courtoisie lui fit pourtant remonter du feu dans les joues et dans les paupières : transporté à son tour, il saisit le bâton qui restait, et d’un même élan nous courûmes l’un sur l’autre.
Les bois se croisent, se choquent, se frappent, se renvoient.
J’étais plus vigoureux, mon adversaire plus habile. Cependant, par instinct, je devine et pare les attaques. La continuité de la lutte m’irrite, me brûle ; j’abats des chênes, des foudres, des massues… je ne touche pas.
Un coup plus rapide, plus robuste, plus ardent, plus fièvreux… ; l’arme de mon adversaire, prise en dessous, vole à dix mètres de hauteur.
Je m’arrête. L’arme est reprise et fond sur moi, le combat est plus chaud que jamais. Le dépit et la rage d’un côté, de l’autre, l’animation d’un premier avantage ; des deux parts l’impatience d’en finir, une vieille haine, la soif haletante de la vengeance…
Les dents me claquent, mon oeil bondit de son orbite, mes artères se gonflent, ma poitrine s’élance haletante, mes tempes sont des flots bouleversés, mes cheveux se dressent, ma tête se perd.
Un mouvement frénétique de poignet a ramassé mes derniers débris de forces, mon pied soufflette le sol d’un heurtement terrible, mon arme crie contre l’autre arme, descend, se glisse, frappe…
Mon adversaire tombe. On s’empresse, le chirurgien regarde, j’interroge avec anxiété… La blessure n’était rien : une simple contusion ; l’intérieur du genou avait été atteint, mais le bâton était arrivé amorti par la riposte et brisé par le choc.
Je me réjouis dans mon âme que le résultat ne fût pas grave ; car c’était celui de mes deux champions auquel je voulais encore moins de mal. Un arrogant est une bête moins dangereuse qu’un traître ; et je n’ai jamais, au surplus, souhaité la mort du pêcheur. »
Lorsque le duel s’achève (l’autre adversaire a l’oreille arrachée d’un coup de fusil), Chodruc-Duclos s’adresse aux témoins : « Dites-leur que j’ai bâtonné le Tellim, parce qu’on bâtonne la valetaille ».
Mais une fois rentré en ville, il se voit condamné, ainsi que son ami Debucq, à trois mois de prison comme duelliste et témoin de duel…
Article proposé par Laurent Bastard. Merci Laurent