Connaître le tour du bâton est une expression vieillie qui signifie « savoir subtiliser adroitement quelque chose, en tirer profit de façon malhonnête ». Quelle est son origine ?
Eman MARTIN s’est penché sur « le tour du bâton » dans son ouvrage « Origine et explications de 200 locutions et proverbes », recueil posthume paru chez Delagrave en 1888, à partir de ses articles du « Courrier de Vaugelas ». Voici ce qu’il nous en dit, p. 119-120.
« Cette expression a reçu trois explications :
1° Selon M. Littré, elle vient d’une escrime au bâton signalée en ces termes à l’historique de « Bâton » dans son grand Dictionnaire : « Un jeu que l’on nomme jeu de baston, c’est assavoir l’un à tapper ou frapper et rompre le baston de son compaignon. (Du Cange, Basto)
2° Suivant Borel, on l’a formée des mots « bas » et « ton », parce que lorsqu’on veut faire un gain injuste on ne le dit qu’à voix basse (d’un « bas ton »), à l’oreille des personnes qu’on met dans ses intérêts.
3° Enfin, d’après Moisant de Brieux, fondateur de l’Académie de Caen, et aussi, je crois, d’après La Monnoye, ladite expression est une allusion aux joueurs de passe-passe et de gobelets, qui ont d’ordinaire en main un petit bâton.
Voyons maintenant laquelle résiste le mieux aux objections qui peuvent lui être faites.
La 1ère. – Je ne vois pas du tout comment le jeu de bâton décrit dans la citation de M. Littré aurait pu donner naissance à une expression signifiant un moyen de faire subtilement disparaître quelque chose dans l’intention de se l’approprier.
La 2e. – En général, ce qu’on appelle « tour » se fait au moyen d’un objet matériel, et il n’y a jamais eu de tours, à ma connaissance, qui aient été dénommés d’après les intonations de la voix de celui qui les exécute.
La 3e. – Voilà celle que je crois la vraie. En effet, on dit « connaître le tour du bâton » pour signifier savoir subtiliser quelque chose. Or, n’est-ce pas une allusion parfaite à ce que fait le joueur de passe-passe lorsque, grâce à son petit bâton (qui lui permet de dissimuler une muscade dans sa main), il la fait passer, à son dire, d’un gobelet dans un autre, sous les yeux étonnés du public ?
Du reste, comme dans ses « Curiositez françoises », Antoine Oudin dit que « jouer des gobelets » signifie « dérober, prendre subtilement », il résulte de ce fait une équivalence de sens entre « jouer des gobelets » et « connaître le tour du bâton » qui me semble toute favorable à l’origine vers laquelle je penche. »
Les illustrations sont extraites de l’un des numéros de 1849 de la « Revue comique à l’usage des gens sérieux », magazine satirique auquel collaborèrent les meilleurs caricaturistes, dont le dessin était souvent féroce envers les hommes politiques. Elles illustrent une série de scènes intitulées « Les jongleries d’un saltimbanque » et ridiculisent Adolphe Thiers (1792-1877), dont la longue carrière politique sous différents régimes commença dans les années 1830 pour s’achever sous la Commune et la IIIe République. Thiers y est présenté comme un nabot malicieux, tenant un bâton, et exécutant le tour du même nom. Une corbeille, à ses pieds, s’est vidée de ce qu’elle contenait (Emprunt, dette flottante) tandis que le Budget se retrouve sur le nez du spectateur. C’est une allusion au passage de Thiers au ministère des finances, où il était rapporteur du budget en 1831-1832.
L’autre gravure nous montre Thiers exécutant le tour des gobelets avec un petit bâton ; en soulevant le gobelet marqué « Régence », il dévoile un bonnet phrygien.
Article rédigé par Laurent Bastard. Merci