Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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LA CANNE ENCHANTEE – 9

Chapitre IX.

Jacques plia le genou devant le roi avec les marques du plus profond respect, et lui dit :
« Enfin, sire, j’ai l’honneur d’être admis près de Votre Majesté. J’étais bien sûr d’y parvenir, mais que de peines il m’en a coûté !
- Que voulez-vous dire ? demanda le monarque avec bonté ; expliquez-vous. Nous rendons la justice et nous recevons avec bienveillance le dernier de nos sujets. »
Ici le bûcheron regarda sournoisement l’huissier, qui, craignant une mauvaise affaire, courba l’échine et jugea prudent de s’esquiver.

« Sire, dit le vieillard, les heures s’écoulent. Je suis possesseur, pour un temps limité, d’un talisman incomparable, que bien des monarques payeraient de leur couronne. Depuis trois jours j’accomplis sous vos yeux des prodiges qui vous en ont démontré la puissance. Aujourd’hui je viens le mettre à votre disposition. Souhaitez, sire, et cette canne merveilleuse va amener sur-le-champ en votre présence tel homme ou telle chose que vous désirez voir.
- Sans doute, répondit le monarque, si ce que vous dites était vrai, ce bâton serait d’un prix inestimable. Vous pourriez devenir l’homme le plus riche du monde. Que n’attirez-vous, avec ce talisman, tous les trésors engloutis dans la mer ?
- Sire, je n’ai pas le temps d’aller si loin. Cette canne m’a été prêtée pour huit jours ; c’est aujourd’hui le septième. J’ai une fille que j’adore ; elle est belle et sage. Je voudrais la marier à un seigneur riche et puissant. J’aurais pu, si j’avais été un malhonnête homme, m’approprier le bien d’autrui ; je ne l’ai pas voulu, sire, et j’ai préféré vous rendre quelque grand service dont la récompense pût être une haute position pour mon enfant. Un secours que j’ai reçu à propos m’a suggéré l’idée de venir trouver Votre Majesté. Georgette allait mourir ; un étranger l’a sauvée en attirant, avec cette canne, un médecin qui était à deux lieues de là. J’aurais payé ce bienfait de ma vie ; si j’étais assez heureux pour vous rendre un grand service, vous le payeriez par le bonheur de mon enfant. Vous le voyez, je suis honnête homme.
- C’est vrai, dit le roi, touché de tant de sincérité. J’ai un fils, moi, et pour conserver ses jours je ferais tout au monde. Heureusement il est en bonne santé dans ma résidence d’été que vous voyez d’ici. Il serait possible que pour toute autre chose j’eusse besoin de votre talisman, dans huit jours, dans un an, que sais-je ? Mais dès demain vous ne l’aurez plus. Consolez-vous en pensant que si votre fille est belle et sage, elle trouvera quelqu’un qui la rendra heureuse. Si, à défaut d’un prince, elle rencontre un honnête homme, elle ne sera jamais à plaindre.

- Pourtant, dit la reine en désignant la canne, et désireuse d’en éprouver la puissance, vous pourriez sans doute, au moyen de cette canne, me dire ce que fait mon fils en ce moment ?
- Oui, madame » dit le bûcheron ; et il dirigea le bâton, en aspirant, du côté de la grande avenue.
Le roi et la reine, pleins de curiosité, retinrent leur souffle, et soudain un bruit de fanfares parvint jusqu’à leurs oreilles.
« Grand Dieu ! dit la reine en pâlissant ; il chasse !
- En effet, répondit le bûcheron radieux, il chasse !
- Le malheureux ! s’écria le roi, il m’a désobéi ; il est perdu !
- Pourquoi ? fit le bûcheron inquiet.
- Parce que, ajouta le roi désolé, un astrologue nous a prédit que le prince serait victime d’un accident à la chasse, et depuis ce temps je n’ai jamais permis qu’il se livrât à ce dangereux exercice. Ah ! je tremble ! Comment conjurer ce péril ?
- Rien de plus aisé, sire, répondit le bûcheron. Rassurez-vous !
- Quoi ! vous pourriez… demanda la reine suppliante. Ah ! sauvez mon fils, sauvez le prince, et, je vous le jure, nous ferons pour votre fille ce que vous souhaitez. Nous lui donnerons pour époux un seigneur du royaume.
- J’en prends l’engagement solennel, dit le roi.
- Enfin ! dit le bûcheron ravi, enfin ! »

Aussitôt, portant à ses lèvres la canne magique dans la direction de la grande avenue, il aspira vigoureusement.
On vit un nuage de poussière s’élever à l’horizon et se rapprocher avec rapidité.
Bientôt un effroyable tumulte se fit entendre. La population étonnée envahit la place.
De ce tourbillon sortit d’abord un grand cerf, qui, haletant, épuisé, vint tomber devant le palais sous les yeux du roi. Derrière l’animal arrivèrent cent cinquante chiens furieux, aboyant, qui s’élancèrent sur leur victime. Après les chiens, cent piqueurs sonnant l’hallali de toute la force de leurs poumons, et derrière cette foule, le jeune prince lui-même entouré de ses amis.

La reine reconnaissante envoya un sourire d’amitié au vieillard. Tandis que les époux jouissaient du bonheur de savoir leur fils en sûreté, une rumeur étrange courut dans la foule. Le roi chercha le prince du regard et ne le vit plus. Une multitude effarée se portait sur un seul point, levant les bras au ciel.
Le monarque inquiet, suivi du bûcheron, descendit, et la foule respectueuse et consternée lui ouvrit un passage. Mais Jacques, avec l’œil du braconnier, reconnut bien vite de quoi il s’agissait, et, n’oubliant pas la prudence, il resta un peu en arrière. Bien lui en prit.

Le prince, attiré trop violemment par le bâton magique, avait perdu l’équilibre, et, tombant de cheval, il s’était blessé.
Le roi, voyant son hériter dans cet état, chercha autour de lui avec colère ; le bûcheron comprit l’intention, et, prévoyant bien la récompense que le souverain réservait à ce nouveau genre de service, il prit lestement son parti. Avec la canne il attira le cheval du prince et l’enfourcha, malgré ses soixante ans, avec l’agilité d’un jeune homme. A défaut d’éperons il lui serra les flancs, et bientôt il fut hors de la ville. On fit fermer les portes, mais trop tard ; le fugitif était déjà loin.

Il courut ainsi tout le jour, croyant l’armée entière à sa poursuite, effrayé par le galop de sa monture, et ne reprit haleine que vers le soir. Alors seulement, écrasé de fatigue, se voyant bien seul, il descendit et mit l’animal en liberté. Il se coucha au pied d’un arbre et s’endormit profondément.

(A suivre…)

Article rédigé par Laurent Bastard, merci :)

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