Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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LA CANNE D’UN COMPAGNON ADJOINT AU MAIRE

La procédure de récolement décennal des collections des musées permet de vérifier leur présence dix ans après le précédent inventaire. Elle permet aussi d’étudier plus en détail certains objets plus ou moins oubliés. C’est ce qui s’est produit récemment au musée municipal et archives de la commune de Sainte-Maure-de-Touraine (Indre-et-Loire). Mme Emilie Niquet, responsable de cette structure culturelle, nous a en effet demandé si nous pouvions déchiffrer les initiales qui figuraient sur la pastille d’une canne de compagnon. Et celle-ci s’est mise à parler ! Enfin, nous l’avons aidée un peu…

Cette canne de 1, 22 m est, comme à l’accoutumée, en jonc exotique, pourvue d’un embout en laton et d’un gland en acier. Elle a perdu depuis longtemps sa dragonne ou sa cordelière. Sa pomme en corne noire, à huit pans, comporte une pastille en os gravée des lettres suivantes : TLDC en haut et CBC au milieu. Aucun emblème, aucun outil, pas d’iinitiales suivies de trois points à la manière maçonnique. Cette sobriété permet déjà de dater cette canne du milieu du XIXe siècle ou au moins d’avant les années 1870.

Les lettres CBC, nous les avons déjà rencontrées sur l’illustration de l’article Vol de cannes de compagnons à Avignon, en 1835. Elles signifient « Compagnon Blancher Chamoiseur ». Un blancher était un tanneur de petites peaux de mouton et de chèvre, qui employait l’alun et d’autres substances, lesquelles conféraient une grande blancheur à la peau destinée à la ganterie. On dit aujourd’hui « mégissier » et non plus blancher. Un chamoiseur travaillait les mêmes peaux, mais les tannait aux huiles de poisson, d’où la teinte jaune des « peaux de chamois » (qui, en réalité, ne proviennent pas du chamois des Alpes).

Mais à la différence de celle de Sainte-Maure, la pomme illustrant cet article était ronde, en bois noir, et la pastille en os était gravée des initiales CBC suivies de trois points, de deux couteaux à deux manches (outils du blancher-chamoiseur) et de rameaux. Tout cela atteste que cette canne est un peu plus récente que celle qui nous intéresse.

Reste le mystère des lettres TLDC. Vraisemblablement, il s’agit des initiales du surnom du compagnon. Le T étant probablement l’initiale du « nom de province », il doit signifier « Tourangeau ». Mais que signifie LDC. Le Dévoué, La Droiture, Le Divertissant ? Les « vertus » employées pour former les noms compagnonniques sont nombreuses mais répétitives, et on décrypte assez facilement ces codes avec l’habitude. Mais il y a une quatrième lettre, ce C qui vient compliquer la lecture.

A vrai dire, nous aurions cherché longtemps si nous n’avions pas eu en mémoire l’existence d’un compagnon de Sainte-Maure, assez connu en son temps. Il se nommait Jean-Baptiste LABROSSE, il était né le 27 juillet 1832 à Sainte-Maure-de-Touraine et décédé dans cette même ville le 14 septembre 1898. Il y fut conseiller municipal, adjoint au maire et conseiller d’arrondissement (l’équivalent du conseiller général d’aujourd’hui). Quel était son métier ? Blancher-chamoiseur. Et quel était son nom de compagnon ? Tourangeau L’Ami du Coeur.

C’est là qu’il faut parfois oublier notre logique orthographique et lire les surnoms en initiales avec un autre regard. J.-B. Labrosse fut bien le propriétaire initial de la canne mais il a fait graver quatre lettres au lieu des cinq de son surnom (TLADC), contractant « L’Ami » en une seule, un L.

Ce n’est pas la première fois que nous rencontrons ces « abrégés d’abréviations » (on trouve par exemple « Bondrille » ou « Jolicoeur » pour « Bon Drille » et « Joli Coeur »). Ici, Labrosse a peut-être choisi de n’en faire figurer que quatre, à la façon des devises des compagnons, très souvent en quatre initiales, telle DPLD (Dieu Protège Le Devoir), ou bien en harmonie avec les symboles de sa corporation (les quatre extrémités des deux couteaux posés en croix, le linge blanc posé sur le sol, qui est appelé « quadrangulaire », etc.)

Notre compagnon était donc identifié. Né en 1832, il a logiquement était reçu entre 19 et 22 ans, comme la plupart des jeunes de son temps, ce qui situe la canne vers 1852.

Quant à savoir comment cette canne s’est retrouvée dans les archives de la commune de Sainte-Maure, on peut supposer qu’elle y a été remise par l’intéressé avant sa mort, puisqu’il était élu municipal, ou bien que ses descendants l’ont offerte à la ville où il avait exercé longtemps ses mandats.

Merci à Emilie Niquet de nous avoir permis de reproduire la photo qu’elle a prise de la pomme de canne.

Article rédigé par Laurent Bastard. Merci :)
Merci également à Emilie Niquet :)

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