Résumé des épisodes précédents, figurant en vignettes sur l’image d’Epinal n° 1064 de la fabrique Pellerin (vers 1890) : une canne à figure grotesque été fabriquée par un paysan, qui l’a cédée à un marchand de cannes, qui l’a vendue à un colonel, qui l’a offerte à son fils saint-cyrien victime d’une entorse, qui, une fois guéri, en a fait remplacer la pomme grotesque par une pomme d’or par un orfèvre, puis l’a offerte au médecin qui l’a soigné. Le médecin s’est attaché à sa canne, qui lui rend maints services et l’accompagne toujours dans ses visites aux malades. Un jour, un petit garçon a conduit le médecin chez son père au bras fracturé. Le médecin l’a guéri et est devenu l’ami de la famille. Quand l’enfant, prénommé Laurent, sera plus grand que la canne, il deviendra un bon charpentier comme son père…
Dix-septième vignette :
« Dieu te soit en aide, Laurent ! je paie ton établi » dit-il plus tard… Il caresse l’apprenti du bout de sa canne quand il lui voit faire ses premières armes sous la direction de Basile.
Dix-huitième vignette :
A la mort du regretté docteur, Laurent hérite d’un billet de 1,000 francs et de la canne à pomme d’or, qu’il reçoit en versant un torrent de larmes.
Dix-neuvième vignette :
Il met tout son talent à fabriquer deux supports qui soutiendront contre la cheminée, au-dessus du Crucifix, le si précieux souvenir.
Vingtième vignette :
Aperçue par un ancien ami du médecin, qui vient faire une commande, elle est descendue de sa place d’honneur. L’ami veut l’acheter. « Pas pour tout l’or du monde, lui est-il répondu. C’est le trésor de la famille. »
Nous voici arrivés à la fin du conte. N’est-il pas étonnant de consacrer une image d’Epinal en vingt vignettes à l’histoire d’une canne ? En fait, sous sa simplicité, sa mièvrerie aussi, cette historiette sert de prétexte à un enseignement moral et à plusieurs idées.
Il y a d’abord une lecture sociale à faire : la canne est le fruit du travail d’un « bon » paysan, un « artiste d’instinct » certes, mais qui sculpte une pomme à figure grotesque, à son image. Quand le médecin rencontre le charpentier victime d’un accident, il est qualifié de « brave homme ». Face à ces gens du peuple, ces « bonnes gens », il y a un colonel, sa femme et leur fils saint-cyrien (on est en pleine exaltation de l’armée, appelée à sauver la patrie et à reconquérir l’Alsace-Lorraine), qui vont d’abord se servir de cette canne rustique mais vite la transformer pour la rendre conforme aux goûts de son destinataire : un médecin qui a soigné l’élève officier. Tout rentre dans l’ordre, la canne passe de l’art primitif à l’objet d’art et à la figure grotesque est substituée une pomme d’or.
Le médecin, alias le chirurgien ou le docteur, est la bonté même : il visite ses patients, sauve une petite fille agressée par un chien, se rend spontanément chez le père d’un petit garçon qui le prie de se rendre chez lui, il lui prête sa canne pour jouer, lui offre un établi quand il devient apprenti charpentier, devient l’ami de la famille, et à sa mort, lègue au garçon pas moins de 1000 francs et sa canne à pomme d’or.
Il y a aussi une lecture morale, qui exalte les vertus chrétiennes : écoute, patience et dévouement du docteur auprès de ses patients, assistance aux plus faibles (la petite fille attaquée par le chien, le charpentier victime d’un accident), charité (le docteur offre un établi à Laurent et lui lègue une belle somme et sa canne). Il n’est jamais question d’honoraires dans cette histoire, le docteur a tout l’air de guérir ses patients bénévolement, plus même, il prend son temps auprès d’eux puisqu’il « s’oublie à causer avec Basile ». Il est payé de remerciements : « Laurent et sa mère ne savent assez remercier le bon chirurgien ». Paternaliste, le bon docteur « caresse l’apprenti du bout de sa canne ».
La canne léguée prend rang de « précieux souvenir », c’est une véritable relique qui est placée « juste au-dessus du Crucifix ».
Les bons sentiments sont là : Laurent verse « un torrent de larmes » en recevant la canne de son bienfaiteur, il a le culte du souvenir, il n’accepterait jamais un sou en cédant « le trésor de la famille ». On peut être pauvre, mais on a des principes !
Bref, c’est un monde idyllique que nous raconte « La canne à pomme d’or », où les riches et les pauvres se côtoient, où les riches et puissants parlent aux petits et en deviennent des amis, les éduquent, les aident financièrement, et auxquels les petits vouent désormais respect et reconnaissance au-delà de la mort de leurs bienfaiteurs.
Elle est belle, la vie, à travers les images d’Epinal…
Article rédigé par Laurent Bastard, merci