Bonjour à tous, nous profitons de ce premier article de l’année pour vous souhaiter tous nos voeux de bonheur et de santé.
Voici un article proposé par Laurent Bastard que nous remercions.
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Voici un nouveau conte extrait d’Anatole LE BRAZ : « La Légende de la mort chez les Bretons armoricains », tome II (1928), p. 360-380, intitulé « Le voyage de Iannick ». Nous avons déjà rapporté deux contes issus du même ouvrage, où il est question de bâtons et de baguettes (« La pèlerine bretonne frappait trois coups sur une tombe » et « Le penn-baz du mort », par Anatole Le Braz (1893). »
A Penvénan, dans les Côtes-d’Armor, au domaine de Kerbeulven, vivait un prêtre qui était un saint homme, un gentilhomme campagnard, très pieux, et qui était respecté de tous les habitants. Un jour, un pauvre homme vint lui demander d’être le parrain de son fils, ce qu’il accepta. A la fin du repas de baptême il déclara : « L’enfant dont nous célébrons la venue verra des choses qui n’ont pas encore été découvertes à des yeux de chrétien. »
L’enfant grandit et vint régulièrement voir son parrain, qui, un jour, lui dit qu’il avait commis un péché, ce dont s’étonna fort le garçon : « Le jour où je fus ordonné prêtre, je promis d’aller en pèlerinage à Rome. Or, voici que je touche à ma fin, je n’aurai pas accompli mon vœu. Ce que je n’ai pas fait de mon vivant, je serai tenu de le faire après ma mort. Mon salut éternel sera retardé d’autant. » Le garçon lui proposa alors d’accomplir son vœu à sa place.
Puis le prêtre vint à mourir. Bien qu’il n’ait rien laissé dans son testament au garçon, il ne fut pas oublié de lui et ce dernier venait tous les jours prier sur sa tombe. Un jour, le prêtre lui apparut et lui rappela qu’il lui avait promis d’accomplir son vœu, ce que confirma le garçon et il lui demanda : « Mais le chemin, mon parrain ? – Tu n’auras qu’à suivre la gaule blanche que voici. Elle a été coupée naguère à la croix du Rédempteur, alors que cette croix était encore un arbre qui portait branches, dans la forêt de Jérusalem. Tu la tiendras dans ta main droite. Prends garde de la perdre, tu te perdrais toi-même. Tant que tu l’auras en ta possession, elle te servira de guide et de talisman. Quoi que tu voies, ne t’épouvante de rien. Elle te protégera contre tous les maléfices. Note soigneusement en ton esprit tous les détails de ton voyage, afin que tu puisses, au retour, m’en rendre un compte exact. C’est pour moi que tu fais ce pèlerinage. Il faut que je sois aussi bien renseigné que si je l’avais fait moi-même. »
Le garçon entreprend donc le pèlerinage et « il se mit en route, tenant dans sa main droite la gaule blanche. » Dès qu’il fit ses premiers pas, il se trouva plongé dans une étrange nuit et avança vers un ravin encombré de ronces et d’épines. « Aussitôt, devant lui, ou plutôt devant la baguette, un chemin s’ouvrit dans l’inextricable fourré. ». Son voyage le conduit dans d’autres contrées mystérieuses, où il voit des montagnes s’affronter, une mer en furie, qu’il parvient à traverser grâce à sa baguette.
Ailleurs, il doit escalader une petite montagne (un Ménez) d’où partent des chants qu’il aurait bien voulu rester à écouter mais « la baguette le tirait par la main ». Il voit aussi une multitude d’enfants qui escaladent un mont, sans succès. Il aurait voulu les aider, mais sa baguette le conduisit jusqu’à une chapelle située en haut du mont. Plus loin, devant un château, la baguette s’arrêta et « elle frappa trois coups à la porte, et la porte s’ouvrit ». Il visite le château et une infinité de chambres, « mais la petite gaule blanche ne mena pas Iannick plus loin. Le pèlerinage était sans doute accompli, et la baguette rebroussa chemin vers Kerbeulven. Le retour se fit dans une nuit noire. Si Iannick avait lâché sa baguette, à ce moment-là, il n’aurait plus eu qu’à mourir de détresse, comme un aveugle abandonné dans un pays inconnu. Aussi la serrait-il bien fort dans sa main. »
De retour au domaine, il retrouve le vieux prêtre fantomatique auquel il rapporte tout ce qu’il a vu. Le prêtre lui donne la signification des épisodes étranges qu’il a vécu. A la fin il lui dit : « Maintenant, rends-moi la baguette, Iannick ; en échange, je te remets ce livre. Toutes les pages en sont blanches. Tu en rempliras chaque jour un feuillet de ton écriture. Lorsque le dernier feuillet sera rempli, ton temps sera venu. » (…) « Là-dessus, le prêtre et son filleul prirent congé l’un de l’autre, en se donnant rendez-vous au paradis dans six mois. »
Ce qui est étrange dans ce conte, c’est que ce voyage se déroule durant 20 ans dans une sorte de monde parallèle et il ne s’accomplit pas jusqu’à Rome. Les parents du garçon ne s’aperçoivent même pas de son départ car il est remplacé par son ange gardien.
L’illustration représente Saint Yves, le grand saint de la bretagne, donnant aux pauvres, dont un jeune garçon tenant un grand bâton de pèlerin. Cette estampe du 4e quart du XIXe siècle est conservée à Quimper (Finistère), au musée départemental breton.