Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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DE « CHERES » CANNES DE COMPAGNONS EN 1951 ?

Après que Proud fils ait abandonné la fabrication des cannes pour les compagnons au début des années 1930 (voir l’article : Greffier et Proud, fabricants de cannes de compagnons), le compagnon Bris en repris la fabrication en 1937 (voir l’article : Les cannes du compagnons Bris en 1937). Leur diffusion fut évidemment interrompue durant la guerre. Après la Libération, la vie compagnonnique reprit et le problème de la fourniture de cannes se posa à nouveau.
Fin 1950, il était résolu et la nouvelle Association ouvrière des compagnons du Devoir fit insérer le communiqué suivant dans son journal (« Compagnonnage », n° 116, janvier 1951) :

CANNES DE COMPAGNONS
Le Conseil du Compagnonnage, en accord avec la Fédération Intercompagnonnique de la Seine, a remis en fabrication un lot de cannes de compagnons, pour contenter les nombreuses demandes qui nous sont faites depuis longtemps et que seules les circonstances et les difficultés d’approvisionnement nous avaient obligés d’éluder.
Le prix a été particulièrement étudié, et comprimé, afin de rendre possible aux Compagnons la possession d’un symbole cher à leurs coeurs. Nous obtenons la canne au prix de trois mille deux cents francs.
Le Conseil, moyennant majoration de deux cent cinquante francs, peut faire graver sur le pommeau les insignes et lettres habituelles à chaque métier, selon modèle que les CC. voudront bien envoyer.
On peut envoyer le montant à la commande, ce qui simplifie, sinon la canne sera envoyée contre remboursement.
Pour les jeunes qui se présenteront avec la garantie de leur Maître de Cayenne ou de Chambre, un acompte de 2.000 francs sera accepté, le solde à un mois de la livraison.
Nous demandons aux CC. de prévoir un supplément pour participation aux frais d’emballage (300 frs), et d’envoi valeur déclarée (250 à 300 frs environ).
Que les Compagnons, en passant commande, n’omettent pas de préciser la hauteur qu’ils désirent : 1 m 35, 1 m 30, 1 m 25, 1 m 20.
Pour les commandes, s’adresser au Conseil du Compagnonnage, 82, rue de l’Hôtel-de-Ville, Paris-IVe. »

Quelques remarques. Quatre tailles sont désormais proposées aux compagnons, croissant de 5 cm en 5 cm à partir de 1, 20 m.
On s’étonnera de l’énorme augmentation de prix d’une canne, due à l’inflation galopante de l’après-guerre. En 1937, elle était vendue 220 francs, gravure du pommeau comprise, mais il fallait ajouter les frais de port et d’emballage. Estimons-en le coût total à 250 francs au maximum.
Treize ans plus tard, la canne (qui devait toujours être fabriquée par Bris) coûtait 4000 à 4100 francs, gravure, emballage et envoi compris ! Cette augmentation apparemment considérable doit être ramenée à celle du salaire moyen annuel d’un ouvrier. D’après diverses sources, il était d’environ 835 francs par mois en 1937. Le prix d’une canne (250 fr.) était donc d’un peu plus d’un tiers du salaire mensuel. En 1951, le salaire mensuel était estimé à 21 000 francs ; une canne étant vendue 4000 francs, cette somme ne représentait donc plus qu’un cinquième à peine du salaire mensuel.
Le rédacteur de l’article n’avait pas tort d’écrire que le prix avait été « particulièrement étudié, et comprimé ».

Article rédigé par Laurent Bastard. Merci :)

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5 Comments to “DE « CHERES » CANNES DE COMPAGNONS EN 1951 ?”

  1. Laurent BASTARD dit :

    Dès 1948, l’Association Ouvrière des Compagnons du Devoir évoqua la question des cannes pour ses membres. Le rapport des Assises des 21-22 novembre 1948, à Nantes (c’est l’assemblée générale de l’Association),publié dans le journal « Compagnonnage » n° 92 de décembre 1948, p. 3, indique :

    « Le C. Bréjaud donne quelques explications sur le stock de cannes de Compagnons. Le prix de ces cannes est fixé à 3.200 frs plus les frais de port. La question de la fabrication de pommeaux en différentes matières est envisagée.
    Le C. Mignot estime que la fabrication des cannes doit être réservée aux membres de l’Association. Le C. Bernard pense qu’il faut en réserver aussi aux membres des cayennes de charpentiers et aux chambres de menuisiers qui ne seraient pas encore adhérentes. Il termine en remerciant au nom des CC. le C. Bréjaud pour l’aide qu’il apporte aux CC. pour la fabrication de ce premier lot de cannes. »

    Ces lignes nous informent du prix d’une canne de compagnon en 1948, soit 3200 francs, le même prix que trois ans plus tard.

    On apprend aussi que c’est cette année-là (1948) que le premier lot de cannes fut fabriqué et que le compagnon Bréjaud y prit une part active, succédant ainsi au compagnon Marcel Bris, qui les confectionnait avant guerre.

    Marcel Bréjaud (1905-1952) était un compagnon sellier du Devoir, reçu à Tours en 1923 sous le nom de « Berry la Bonne Conduite ».

  2. Laurent BASTARD dit :

    Voici encore une petite pièce à verser au dossier des cannes des compagnons de l’Association ouvrière après la guerre. Dans le compte rendu des Assises (assemblée générale) de l’Association ouvrière des compagnons du Devoir (Bordeaux, 11-12 novembre 1947)on lit ceci :

    « LE C. Marcel Bris, Parisien la Noblesse du Devoir, Conseiller au Tour de France, fait une communication concernant les couleurs et les cannes. Tous ces insignes distinctifs sont à l’heure actuelle en cours de fabrication. Il est impossible de donner un prix pour les cannes de Compagnons, mais le prix de l’adoption est fixé à 950 francs et mis en discussion. Pour la rendre plus accessible, à Nantes, on fait payer aux jeunes 25 francs en 10 mois. Dans le prix de 950 francs, la couleur compte pour 550, la canne d’aspirant pour 200, et l’inscription pour 200. »
    Source : journal « Compagnonnage », n° 82, janvier 1948, p. 5.

    On voit qu’en 1947, il n’était pas encore aisé pour les nouveaux compagnons de se procurer une canne puisqu’elles étaient encore en cours de fabrication. C’est toujours Marcel Bris qui s’en occupe, comme il le faisait à la fin des années 1930. Le fait que les cannes étaient encore indisponibles explique que certains compagnons reçus dans les années 1945-1947 n’en ont parfois jamais acheté par la suite, une fois rentré dans leurs foyers après leur tour de France et leur réception.

  3. Laurent BASTARD dit :

    Voici de nouvelles précisions sur les coûts et les modèles de cannes fabriquées dans les années 1950 par les compagnons de l’Association ouvrière des compagnons du Devoir. On verra qu’en trois ans les prix ont nettement augmenté !

    Extrait du journal « Compagnonnage » n° 159 d’octobre 1954, p. 8 :

    « Le Conseil du Compagnonnage a remis en fabrication un lot de cannes de compagnons. Le prix a été particulièrement étudié, et comprimé, afin de rendre possible aux Compagnons la possession d’un symbole cher à leurs coeurs. Nous obtenons la canne au prix de 4.250 francs.

    Le Conseil, moyennant majoration de 610 francs, peut faire graver sur le pommeau les insignes et lettres habituelles à chaque métier, selon modèle que les CC. voudront bien envoyer. On peut envoyer le montant à la commande, ce qui simplifie, sinon la canne sera envoyée contre remboursement.

    Pour les jeunes Compagnons qui se présenteront avec la garantie de leur Maître de Cayenne ou de Chambre, un acompte de 2.000 francs sera accepté, le solde à un mois de la livraison.

    Nous demandons aux CC. de prévoir un supplément pour participation aux frais d’emballage (300 frs) et d’envoi valeur déclarée (400 francs environ). »

    En 1954, une canne de compagnon coûtait donc, frais d’envoi compris, 5560 francs. Somme à remettre en correspondance, évidemment, avec le salaire moyen d’un jeune ouvrier de l’époque.

    Le même journal consacre ensuite quelques lignes aux :

    CANNES DE TAILLEUR DE PIERRE
    Un lot de cannes de tailleurs de pierre a été mis en fabrication avec pommeau d’ivoire taillé à pans, cordelière et glands d’or pour le prix de 8.985 francs, gravure non comprise. Eu égard à la cherté de la canne traditionnelle des tailleurs de pierre, nous en acceptons le paiement en trois mensualités.

    Que les Compagnons, en passant commande, n’omettent pas de préciser la hauteur qu’ils désirent : 1 m 30, 1 m 25, 1 m 20, ainsi que le nom de C., date et lieu de R.(éception) et de finition, métier. »

    La canne de tailleur de pierre coûtait donc en 1954 9595 francs, gravure comprise mais sans compter les frais d’emballage et d’expédition. Ce n’était pas une petite somme !

  4. Laurent BASTARD dit :

    Si l’on se préoccupait chez les compagnons du Devoir de l’après-guerre de trouver une canne au meilleur prix, il en était de même chez les compagnons de l’Union Compagnonnique (compagnons des Devoirs unis).

    Voici ce que l’on peut lire dans leur journal, « Le Compagnonnage », n° 436 de mars 1957.

    « AYONS NOTRE CANNE
    Au cours de nos déplacements sur le Tour de France nous avons souvent reçu les doléances de nombreux Compagnons désireux de posséder une canne compagnonnique. Ce désir est d’ailleurs parfaitement légitime, la canne fait partie des attributs du compagnon, elle a son passé glorieux, sa légende, sa symbolique originale.
    Elle est intimement liée à toute l’histoire du Compagnonnage, à sa grandeur, à son prestige, à sa noblesse.

    Le Compagnon sans canne ne sait que faire de ses mains au cours d’un défilé, alors que ceux qui en sont pourvus « roulent » majestueusement ; il fait penser à un combattant sans arme. La canne de Compagnon s’identifie à l’épée de l’officier, elle s’incline devant le deuil et la douleur et s’élève fièrement pour saluer et rendre les honneurs.

    Aussi la Direction générale s’est-elle préoccupée de satisfaire à la demande des Compagnons désireux d’acquérir cet « emblême précieux ».
    Un appel, à cet effet, a été lancé au Tour de France ; le prix approximatif de 5000 francs a été fixé à condition qu’une commande de cent cannes soit passée au fabricant.

    Or, le Pays Chicot, vice-président de l’Union Compagnonnique chargé de centraliser les demandes des sections n’a, jusqu’à ce jour, qu’un nombre très insuffisant de commandes, une trentaine environ.

    Il apparaît que, malgré votre appel, de nombreux Compagnons n’ont pas été touchés par notre proposition ; nous leur demandons donc de constituer, au plus tôt, des listes d’acquéreurs destinées à hâter la fabrication des cannes et à les adresser au Pays CHICOT, Léon, 91, rue Anatole-France, Le Havre, qui reste à leur disposition pour leur fournir tous renseignements concernant cette question.
    La Rédaction. »

    Ce texte appelle quelques remarques :
    - on voit que l’Union Compagnonnique, dans les années 1950, était revenue de ses opinions « modernistes » de la fin du XIXe siècle, quand elle considérait que la canne était un vestige du vieux Compagnonnage un tantinet ridicule ;
    - on notera l’assimilation de la canne compagnonnique à l’épée de l’officier, comparaison que nous avons signalée dans d’autres articles ;
    - on remarquera, enfin, que le prix d’une canne à l’Union Compagnonnique en 1957 était sensiblement le même qu’à l’Association ouvrière des Compagnons du Devoir : 5000 francs à l’Union et 5560 francs à l’A.O., frais d’envoi compris.
    En revanche, nous ignorons qui les fabriquait.

  5. Laurent BASTARD dit :

    Nouvelle contribution à la question des cannes compagnonniques dans l’immédiat après-guerre : dans le journal de l’Union Compagnonnique « Le Compagnonnage » de janvier 1951, fut inséré l’article qui suit :

     » AU SUJET DES CANNES
    Le Pays Daniel Chapuzet, d’Angoulême, prie les compagnons qui lui avaient donné la commande de cannes de bien vouloir s’adresser directement au fabricant :

    M. Groéné, 65, rue Meslay, Paris (3e)

    mais avant de lui commander, demander la forme et la façon de l’embout ; il est très simple et ne porte pas d’estampes comme on lui avait promis. Les Compagnons seraient peut-être surpris à la réception de la canne. Il peut être en cuivre jaune poli ou chromé. Quant au jonc et au pommeau, ils sont très bien. »

    On notera l’avertissement du compagnon Chapuzet aux compagnons : « l’embout ne porte pas d’estampe », ce qui risque de surprendre les acheteurs. Ceci vient de ce que les compagnons s’étaient habitués aux embouts portant des figures symboliques (temple, mains serrées, équerre et compas croisés, ruche), fabriqués par les fabricants lyonnais BRON puis PROUD père et fils, depuis les années 1880 à 1930 environ. En fait, le nouveau modèle destiné à l’Union Compagnonnage était un retour aux férules unies du XIXe siècle, qui étaient tout au plus ornées d’un ou plusieurs filets.

    Un lecteur en sait-il plus sur M. Groéné, fabricant de cannes à Paris-3e, 65, rue Meslay ?

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