Il est intéressant de confronter ces deux images. L’une, une gravure du milieu du XIXe siècle, représente l’Anglais Boulton aux prises avec un orang-outan dans la jungle de Bornéo, illustration du récit publié en 1844 par le capitaine LAFOND dans ses « Voyages autour du monde et naufrages célèbres ». Le grand singe est « armé d’un bâton noueux » qu’il manie avec la dextérité d’un bâtonniste (voir l’article : Le bâton et l’orang-outan).
L’autre est extraite de la revue « Lectures pour tous » de mars 1909. Elle nous montre un chimpanzé célèbre à l’époque, nommé Master Linck, qui était, paraît-il, d’une grande intelligence, au point de pouvoir signer son nom (un peu aidé par son maître, quand même…). Il était vêtu à l’européenne, en redingote et chapeau haut-de-forme. Et il portait une canne !
Le rapprochement entre les deux images, singes et situations est instructif. D’une part, l’orang-outan est censé être plus primitif que le chimpanzé, et à ce titre il tient l’arme des brutes sauvages tandis que son cousin primate tient une canne, l’attribut des hommes civilisés. D’autre part, ces images renvoient à la perception de l’animalité par l’homme : tantôt surévaluée, l’intelligence des grands singes suppose l’emploi d’instruments habilement manipulés, comme dans le récit de Boulton ; tantôt dévaluée, l’intelligence des primates est censée s’élever jusqu’à celle des hommes, grâce à une éducation poussée (pour ne pas dire un dressage) et il s’ensuit qu’ils doivent adopter les comportements et les vêtements humains.
On sait aujourd’hui que l’intelligence animale existe sous d’autres formes que la nôtre, et qu’elle n’a pas besoin d’être canalisée pour « singer » celle des hommes. Il y a bel et bien l’emploi de bâtons et tiges de bois comme outils par les singes et certaines espèces d’oiseaux, pour attraper de la nourriture. Mais le pauvre Master Linck n’était qu’un « singe savant » que l’on produisait à Paris sur la scène de l’Olympia…
Article rédigé par Laurent Bastard, merci