A plusieurs reprises nous avons pu remarquer que le bâton était perçu comme un attribut rustique, l’arme du « vilain » et du paysan, alors que l’épée était l’apanage du noble et du chevalier. C’était aussi une différence de richesse au Moyen Age, le fer étant rare, onéreux et difficile à travailler pour en faire une arme solide et tranchante, alors que le bois était très répandu.
On perçoit bien cette différence de statut attaché au possesseur du bâton et de l’épée dans les romans médiévaux. Prenons comme exemple le Roman de Fergus, écrit entre 1209 et 1241 par un nommé Guillaume le Clerc. Ce manuscrit a été traduit et publié en 1990 par Romaine WOLF-BONVIN sous le titre de « La Chevalerie des sots ; le Roman de Fergus ; Trubert, fabliau XIIIe siècle » (Ed. Stock).
Sur le mode souvent parodique, on y trouve conté le combat de Fergus et du géant de la montagne de Maros, qui est furieux de constater que le chevalier s’est emparé d’un merveilleux écu… En voici quelques passages :
« Avant de s’être guère avancé, il aperçoit le géant sur le pont, qui tient à la main un petit bâton. Il n’y a personne jusqu’à Barlet qui n’en serait accablé s’il le portait sur son épaule. Le gourdin est massif et solide, le géant terrible et cruel. (…) Terrible et lourdaud, le géant accourt à grands bonds vers Fergus, le bâton dressé sur l’épaule : Misérable ! Malheureux, lui dit-il. Déposez cet écu sur le champ, car vous n’y avez certes pas droit (…) Alors il éperonne son rapide coursier. Bien acérés sont les tranchants de sa bonne lame d’acier. Il la plonge dans le corps du géant, si bien qu’elle le transperce aussitôt. Le géant lancé contre Fergus ne renonce pas un instant à sa charge : avec toute la puissance dont il est capable, il le bâtonne et le martèle de son gourdin. Et selon moi, je crois bien que si on avait asséné de tels coups sur un mur, on en aurait démoli une bonne partie. Fergus non plus ne l’épargne pas, mais il tire son épée fourbie et en frappe de grands coups dans la mêlée. (…) Le démon saigne abondamment. Avec colère, avec hargne, il porte de son bâton de pommier un coup si violent sur son écu écartelé qu’il croit le fracasser, le défoncer et estropier le chevalier. (…) De loin, il envoie sur le géant un coup de son épée d’acier et lui coupe le poing droit (…) Ah ! Il le sait, il ne pourra encaisser les coups de son adversaire si celui-ci peut récupérer son bâton, car le géant ne le ménage pas ! Comptant bien s’opposer à ce qu’il retrouve sa massue, Fergus, avec sa tranchante épée nue, accourt du côté où il a vu le gourdin par terre puis attend l’assaut du géant qui le lui livre, fier et faraud. »
Comme on peut s’y attendre, Fergus parvient à tuer son méchant adversaire ! On notera que le bâton du géant est en bois de pommier, bois dur et serré dont on faisait des aussi outils et des manches.
On retrouve un épisode de combat analogue chez Thomas Chaucer (v. 1343- v. 1400), dans ses « Contes de Cantorbery ». L’un de ceux-ci, parodique, met en scène sire Thopas qui parvient au royaume de Féérie, où régnait une grande solitude. Là, c’est la massue qui s’oppose à la lance :
« Enfin arriva un grand géant. Il se nommait sire Olifant ; c’était un homme au bras terrible.
- Camarade, dit-il, par Termagant, si tu ne sors pas de ma retraite à l’instant même, j’assomme ton coursier d’un coup de cette masse. La reine des fées et tout son cortège, harpe, chalumeau et symphonie, se trouvent en cet endroit.
- Et moi, répondit le brave chevalier, demain je viendrai te trouver avec mon armure, et, par ma foi, j’espère alors que tu resteras cloué avec cette lance. »
Cet extrait ainsi que la gravure sont issus du Magasin pittoresque d’octobre 1875, p. 320-321.
Article proposé par Laurent Bastard. Merci