Le grand peintre, dessinateur et graveur allemand Albrecht Dürer (1471-1528) réalisa de nombreuses oeuvres où sont représentées des personnages munis de cannes et de bâtons. Parfois comme attribut d’un saint pèlerin, mais le plus souvent comme instrument de châtiment ou de torture. Il en est ainsi de ses gravures consacrées à la Passion du Christ. En voici quelques détails.
Vers 1495, il réalisa quatre bois gravés connus sous le nom de la « Passion d’Albertina ». La scène du couronnement d’épines est particulièrement intéressante. D’abord par sa brutalité : quatre bourreaux ont placé une couronne d’épines sur la tête du Christ et lui font subir de cruels outrages. Ensuite par l’emploi inusité de trois bâtons dans ce thème courant de l’iconographie religieuse : le Christ tient un roseau en guise de sceptre dérisoire devant lequel s’agenouille l’une des brutes, tandis qu’un autre appuie un gros bâton sur les épines et que les deux derniers, tenant une perche, la font basculer d’un côté et de l’autre pour mieux faire pénétrer les épines dans la tête de Jésus. Enfin, on aura remarqué que le roseau, le bâton vertical et la perche horizontale forment une croix, préfiguration de l’ultime supplice de Jésus. L’artiste va au-delà des Ecritures qui disent seulement qu’ « ils prenaient le roseau et en frappaient sa tête » (Matthieu, 27, 30, Marc, 15, 19).
En 1511, Dürer édita douze gravures réalisées de 1496 à 1511, sous le titre de « La Grande Passion ». Deux scènes nous intéressent. Celle de la remise d’un roseau en guise de sceptre (1511), que nous avons déjà évoquée sur ce blog (Le roseau du Christ, un sceptre parodique), et celle de l’arrestation du Christ au jardin des Oliviers.
Un détail est à remarquer dans cette scène animée et là encore exprimant la grande brutalité des personnages : il s’agit de l’épisode au cours duquel Simon-Pierre, défendant Jésus, coupe avec un glaive l’oreille de Malchus, serviteur du Grand Prêtre (seul l’Evangile selon saint Jean nomme les deux adversaires, les trois autres évoquant seulement un « compagnon de Jésus » et « un serviteur du Grand Prêtre »). La scène est traitée avec mouvement : Pierre s’apprête à asséner le tranchant de son glaive sur la tête de Malchus, tombé à terre, et tenant un gros bâton à la main. Pourquoi Malchus tient-il un bâton ? Ce n’est pas fantaisie de Dürer, mais respect du texte sacré. En effet, Matthieu (26, 47), Marc (14, 43) nous disent : « Comme il parlait encore, survint Judas, l’un des Douze, et avec lui une bande nombreuse armée de glaives et de bâtons » et Jésus : « Suis-je un brigand, pour que vous vous soyez mis en campagne avec des glaives et des bâtons? ». C’est aussi pourquoi Giotto a tant représenté de bâtons dans sa fresque de la chapelle de l’Arena, à Padoue (voir l’article : Le baiser de Judas).
Dans sa série de 37 gravures sur bois publiée en 1511 et intitulée « La Petite Passion », Dürer traite les mêmes scènes. Le couronnement d’épines, réalisé en 1509, nous montre le Christ de profil, saisissant un long roseau vertical, tandis que l’un des bourreaux s’apprête à lui asséner un coup de bâton sur la tête et qu’un autre le blesse avec une fourche à deux dents. Dans deux autres scènes interviennent des bâtons. C’est d’abord celle du Christ devant Caïphe (vers 1509), où un garde s’apprête à frapper de son bâton Jésus agenouillé. Et dans Le Christ portant sa croix (vers 1509), un garde appuie son long bâton sur la nuque de Jésus tombé à terre.
Dans d »autres gravures de Dürer, sur cuivre (autre série de La Petite Passion, de 1507 à 1512), nous retrouvons les scènes de l’arrestation du Christ avec Malchus tenant un bâton (1508) et celle du couronnement d’épines (1512), avec les bourreaux au bâton et au roseau.
Le recours au bâton dans toutes ces oeuvres exprime bien l’une des significations attachées à l’instrument : celle de la brutalité des soudards et des rustres, qui se comportent envers le Christ comme un être vil ou un animal.
Article rédigé par Laurent Bastard, merci