Chapitre VII.
Le bûcheron avait son plan, nous l’avons dit. Il était honnête homme, et n’avait vu dans la possession de la canne qu’un moyen de marier sa fille. Pour rien au monde il n’eût voulu acquérir la richesse par une mauvaise action. Tout bien pesé, qu’eût-il fait au village ? Attirer l’argent des autres, c’eût été honteux et criminel. Rendre un grand service à l’un des trois ou quatre richards du pays, soit ; mais la récompense eût-elle été pour Georgette un mariage princier ? non. Ainsi donc, il fallait sortir de sa sphère.
A quelques lieues de là était une grande capitale gouvernée par un roi puissant. Les palais y étaient magnifiques, et les habitants nombreux. Quelle ressource pour lui dans cette vaste cité ! Que d’intérêts en jeu ! Le plus simple était de s’y rendre ; c’est ce qu’il fit, et comme le temps pressait, il résolut d’aller droit au roi, afin de lui rendre, à l’aide de la canne enchantée, quelque grand service dont le monarque le récompenserait en donnant un grand seigneur pour époux de Georgette.
Il arriva le lendemain matin et chercha une modeste chambre, puis il courut se présenter au château ; Mais les grilles étaient fermées. Dans la cour, à une distance considérable, un homme se promenait, lisant avec attention une grande feuille imprimée. Le bûcheron fit quelques signes qui ne furent pas vus, risqua un appel qui ne fut pas entendu. Voulant pourtant avoir le renseignement qui lui était nécessaire, au moyen de la canne, il tira vivement le papier des mains du lecteur, qui ne s’attendait guère à ce coup de vent, le temps étant très calme. Quand la feuille fut à terre, l’homme voulut la ramasser ; mais chaque fois qu’il se baissait, le malicieux papier fuyait et semblait ensuite s’arrêter pour l’attendre. Après deux ou trois tentatives infructueuses, le lecteur, piqué au jeu, courut tout de bon mais la feuille courut plus fort que lui et vint jusqu’à la grille, où, tout essoufflé, il put enfin la saisir.
C’était justement l’huissier du palais. Le bûcheron, enchanté de la ruse qu’il avait employée pour attirer cet homme, le salua poliment et demanda qu’on l’introduisit : mais Sa Majesté ne recevait pas encore. Il fallait attendre l’heure des audiences.
« C’est juste, » dit le bonhomme, inquiet pourtant du singulier regard de l’huissier.
A l’heure fixée il retourna à la grille, mais on lui répondit que Sa Majesté ne recevait que les gens richement vêtus. Jacques se regarda, et compris en effet qu’il ferait tache au milieu des costumes de la cour.
« Allons, se dit-il, encore un jour perdu ; mais le hasard et ma bonne étoile se sont chargés de mes affaires. N’ai-je pas dans ma bourse de quoi acheter des habits, et mon protecteur ne semble-t-il pas m’avoir procuré cet argent tout exprès ? Courage, demain je réussirai. »
Il parcourut la ville et se fit habiller. Rentré chez lui, il étudia les poses les plus nobles, et se coucha en regrettant que les nuits fussent si longues.
Le lendemain, bien avant l’heure des réceptions, il se promenait autour du palais. Enfin il parut de nouveau devant l’huissier, qui lui rendit poliment son salut, mais toujours avec ce sourire inexplicable. Il fallut décliner ses noms et qualités.
« Jacques, le bûcheron » dit le bonhomme.
Alors l’huissier ne se contenta plus de sourire, il s’épanouit tout à fait, et, avec une familiarité qui courrouça le vieillard, il le congédia en lui disant que Sa Majesté ne recevait que les gens de la cour. Cette fois ce fut un coup de massue, et le pauvre bûcheron, gêné dans ses riches habits, courbant le front sous ce malheur immérité, appela le ciel à son aide.
« Quoi ! se dit-il en errant dans les rues, il faut être noble pour parvenir jusqu’au roi ! Moi, si puissant ! moi qui pourrais terrasser ou disperser dans les airs cette multitude de seigneurs empanachés, je ne puis parler au souverain pour lui rendre un service ! Le roi ignore la grossièreté de ses gens, car il ne la souffrirait pas ! »
Pourtant la promenade le calma, et, à force de chercher, il finit par trouver une idée.
« Certes, s’écria-t-il en rentrant chez lui, il faudra bien que Sa Majesté me reçoive, et malgré toi, huissier maudit ! »
(A suivre…)
Article rédigé par Laurent Bastard, merci