Le compagnon cordier du Devoir Pierre CALAS dit L’Ami des Filles le Languedocien, est l’auteur de plusieurs chansons réunies en un recueil publié en 1864 sous le titre « Petit bouquet de chansons de Tour de France ». Certaines, telle « Le Blason », sont toujours chantées par les compagnons d’aujourd’hui.
Il a dédié l’une d’elles à sa plus fidèle compagne, sa canne. Elle est présentée tour à tour comme un objet de désir, récompensant la valeur et la gloire.
C’est le symbole de l’honneur, l’objet qui fait des envieux et qui terrorise l’ouvrier qui n’est pas compagnon (l’ « esponton »). La canne rassure celui qui la porte. Elle est un ornement de bonne tenue. Lors d’une conduite (cérémonie d’adieu d’un compagnon qui quitte une ville), c’est la canne qu’on remarque dans les mains du rouleur (maître de cérémonie). Enfin la canne est si précieuse pour le compagnon qu’il empêchera qu’on la lui vole jusqu’à la mort.
On notera qu’à cette époque, la canne de compagnon est un « jonc flexible » et qu’elle est « respectable par sa longueur » (son pommeau est symboliquement à hauteur du coeur).
LA CANNE
Puisqu’on voit partout, ici-bas,
Chacun chanter l’objet qu’il aime,
Chers amis, je n’hésite pas,
Je chante du Devoir l’emblème !
Le héros chante son exploit,
Le fumeur son jaune havane,
Le buveur le bon vin qu’il boit ;
Moi, je vais vous chanter la canne !
La canne, gage précieux
De la valeur et de la gloire,
La canne fait mille envieux
Sur la route de la victoire !
L’esponton vil tremble et pâlit
A son aspect, lui, le profane !
Aspirant, mon cœur tressaillit
En voyant la première canne !
Respectable par sa longueur,
Plus brillante qu’une auréole,
Ce vrai symbole de l’honneur
C’est notre dieu, c’est notre idole.
Avec elle on ne craint plus rien,
Avec elle l’on se pavane ;
Du Devoirant c’est le soutien ;
Pour voyager, vive la canne.
Quand au retour de la saison
Quelqu’un de nos frères nous quitte,
Et que Phœbus d’un beau rayon
Illumine un champ de conduite,
On voit en tête le rouleur ;
Près de lui la rose se fane,
L’arc-en-ciel avec ses couleurs
Brille moins que sa noble canne.
Un jour, rentré dans mon foyer,
Charmant séjour, chaume paisible,
Au-dessus de mon oreiller
Je suspendrai mon jonc flexible.
Et quand plus tard il me faudra
Suivre sa triste caravane,
Aux sombres lieux on me verra
Appuyé sur ma longue canne.
Quel est l’auteur de la chanson ?
Faible écho de la corderie,
L’Ami des Filles est son nom,
Le Languedoc est sa patrie.
Si quelque ennemi de son rang
Venait pour lui chercher chicane,
On lui prendrait plutôt son sang
Que de lui dérober sa canne.
L’illustration représente, à gauche, un compagnon cordier en tenue de deuil, portant sa canne embout incliné vers le sol et ses couleurs (rubans) autour du chapeau. A droite, le compagnon cordier est le « rouleur », qui préside aux embauches et aux cérémonies. Il porte sa canne enrubannée et ses couleurs à la boutonnière. Ces images sont extraites d’une lithographie d’Agricol PERDIGUIER sur « Le Compagnonnage illustré », éditée vers 1862.
Article rédigé par Laurent Bastard. Merci
Dans « Les Muses du Tour de France », pages 84-85, cette chanson présente quelques variantes par rapport au texte présenté par Laurent Bastard :
Deuxième couplet, avant-dernière ligne : Aspirants, mon coeur a tressailli (nombre de pieds exact)
Quatrième couplet, avant-dernière ligne : L’arc-en-ciel et ses vives couleurs (nombre de pieds exact)
Cinquième couplet, avant-dernière ligne : Au sombre lieu (au singulier; i.e. le cimetière) l’on me verra
J’ai reproduit le texte originel à partir du « Petit bouquet de chansons de Tour de France dédiées au Devoir » (1864).
La chanson reproduite dans les Muses puis dans le Chansonnier des Compagnons du Devoir comporte en effet les variantes signalées par A. Malthete. Sans doute se sont-elles imposées à l’usage, car la version originelle est effectivment entachée des erreurs signalées (nombre de pieds).
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