Dans l’article « Le Soutien de la canne : un surnom de compagnon« , nous avons montré qu’il a été très populaire au XIXe siècle chez les compagnons boulangers, mais aussi chez les cordonniers-bottiers. C’est d’ailleurs un compagnon de ce métier, Jules LYON dit Parisien le Bien-Aimé, qui a composé la chanson qui suit. Elle figure dans « La Lyre du Devoir », recueil publié à Paris en 1846.
On y découvre l’adoration que les compagnons vouaient à leur canne, « véritable compagne qui l’aide et le soutient ». On remarquera l’attribution traditionnelle des éléments composant la canne : la pomme à Dieu, les yeux (les passants pour introduire la dragonne ou la cordelière) au fondateur du Devoir (Maître Jacques), le jonc aux compagnons et enfin l’embout métallique aux « margajats et espontons », c’est-à-dire aux ouvriers réfractaires au Compagnonnage. La « superbe longueur » et l’embout « effroi du crâne », en disent long sur l’usage tout belliqueux qu’en faisaient les compagnons durant la première moitié du XIXe siècle…
LE SOUTIEN DE LA CANNE
Air : Vivent les enfants de maître Jacques
Amis, je suis un gai luron
Né dans le pays d’Henri-Quatre ;
Comme ce roi, bon compagnon,
Je sais boire, aimer et combattre ;
Chacun sait que nos Béarnais
Ne sont pas capons, Dieu me damne,
Et qu’ils ne reculent jamais
Pour soutenir le nom français.
Eh bien, moi je soutiens la canne ;
Je suis le soutien de la canne.
Sur le tour vous avez pu voir,
Dans le cours de votre voyage,
Des braves soutiens du Devoir
Pleins de loyauté, de courage,
Et puis des soutiens des couleurs ;
Mais, qu’on m’approuve ou me condamne,
De tous ces vaillants souteneurs,
Ce qui convient mieux à mes moeurs,
C’est d’être soutien de la canne ;
Je suis le soutien de la canne.
Lorsque, par devoir ou par goût,
Il faut que je batte campagne,
Toujours elle me suit partout,
C’est ma véritable compagne ;
Elle m’aide et je la soutiens ;
Avec sa couleur diaphane,
Cela donne un joli maintien :
Aussi moi je m’en trouve bien.
Je suis le soutien de la canne :
Je suis le soutien de la canne.
J’offre la pomme au créateur
Comme un pur et sincère hommage ;
J’offre les yeux au fondateur
De notre beau Compagnonnage ;
J’offre le jonc aux Compagnons,
Et puis, sans craindre la chicane,
Au margajate, aux espontons :
J’offre, dans toute occasion,
Ce qui brille au bout de la canne.
Je suis le soutien de la canne.
Canne chérie, ô mes amours !
En toi j’ai mis ma confiance,
Puisque tu protégeas mes jours
En voyageant au tour de France.
J’aime ta superbe longueur
Et ton embout, l’effroi du crâne,
Qui souvent sur le champ d’honneur
Sut rendre ton maître vainqueur.
Je suis le soutien de la canne ;
Je suis le soutien de la canne.
Paris, avril 1846.
Article rédigé par Laurent Bastard. Merci