Les gohéi sont définis par André BELLESSORT dans l’article « La religion d’un peuple heureux » (Lectures pour tous, janvier 1901, p. 355-364), comme des « fuseaux de bambou d’où retombent symétriquement des zigzags de dentelles en papier ».
Il explique que dans les temples japonais on « n’expose d’autres emblèmes de la divinité qu’un miroir et des fuseaux de bambou », les gohéi. Voici leur origine et leur utilisation :
« Ce miroir et ces fuseaux rappellent un épisode de la légende d’Amaterasu. Cette déesse du Soleil, blessée d’un mauvais procédé de son frère, s’était enfermée dans une grotte. Les dieux, fort empêtrés de leurs ténèbres, ne purent l’en tirer qu’en mettant dans leur jeu sa curiosité féminine. Ils cueillirent des rameaux et les ornèrent d’étoffes précieuses, puis ils imaginèrent une symphonie burlesque, où les coqs faisaient leur partie, et cent autres inventions dont la plus heureuse fut de lui vanter sa beauté et de lui présenter un miroir. Amaterasu sortit de la caverne. Aussitôt le dieu la saisit par la main, tandis que des compères étendaient derrière elle une corde en paille de riz, qui lui rendait toute retraite impossible.
On retrouve partout au Japon les fuseaux symboliques et les banderoles de papier découpé qui remplacent aujourd’hui les riches étoffes et forment le gohéi. Dans les campagnes, dans les petites rues désertes, sur les sommets solitaires, près des auberges, au bord des routes, partout enfin, ces fines dentelles ondulent et frémissent, pareilles à un essaim de larges papillons. Lorsque le riz commence à pousser, la brise les agite au milieu des rizières. Elles sont un objet de vénération pour le peuple. Suspendu à la porte des maisons ou dans les champs, le gohei met en fuite les esprits malins. Il chasse les corbeaux et protège le paysan de l’invasion des sauterelles.
Dans certaines cérémonies, le prêtre le balance sur la tête des fidèles et sur les offrandes qu’on apporte à l’autel. Le gohei peut devenir enfin l’habitacle d’un dieu. (…) Un père hésite-t-il à choisir le nom dont il nommera son enfant, il l’amène au temple et remet au prêtre cinq bandes de papier dont chacune porte un nom inscrit. Le prêtre les prend, les roule, les dépose dans une sébile et, après une incantation, en pêche une avec le gohei.
Les gens tout à fait pieux ne limitent pas ainsi le choix de la divinité. Le prêtre s’adresse donc directement au dieu ; à l’approche du dieu, le gohei tremble dans sa main, et le nom fatal s’échappe de ses lèvres. De même lorsqu’on vient consulter l’oracle, le prêtre saisit le gohei et se met en prières jusqu’au moment où, frissonnant et pâle, il se sent possédé et répond aux questions qu’on lui pose.
Les prêtresses, les gentilles petites prêtresses japonaises, ne touchent pas au gohei, mais elles se promènent devant le temple d’un pas rythmé, une sonnette entre les doigts (…) ».
Article rédigé par Laurent Bastard, merci