Voici la fin de l’article sur « Le briquet de bois des sauvages » publié dans « Le Magasin pittoresque » de février 1868.
« Les insulaires des îles Carolines, qui appartiennent à une autre race, usent de la même industrie ; selon Domeni de Rienzi, c’est l’ « Hibiscus populneus » qu’ils emploient pour construire leur briquet. » Ce bois est extrêmement léger ; ils y font tout du long une espèce d’entaille et le posent à terre, tandis qu’un autre prépare une baguette du même bois, taillée en pointe, qu’il place et soutient perpendiculairement dans cette entaille en la tenant des deux mains, tandis qu’il la fait rouler d’un bout à l’autre avec toute la force et la vitesse imaginables ; le succès dépend de l’habileté du rouleur et de la sécheresse du bois. Quelquefois un seul roulement suffit pour produire un feu qu’on entretient avec la partie fibreuse du fruit du « Baringtonia speciosa », et qu’on a eu soin de faire sécher d’avance. D’autres fois, on emploie cette manoeuvre durant des heures entières avant d’obtenir le résultat désiré. »
Pendant que de pauvres sauvages procèdent, comme on vient de le voir, avec si peu de célérité dans leur opération, il n’y a pas, en réalité, un seul homme civilisé qui les imite. Il ne faut pas, cependant, trop mépriser leur procédé. Pour marquer la supériorité de l’intelligence humaine sur les animaux, on a remarqué avec raison que les quadrumanes, dont les facultés semblent parfois si développées, aiment passionément le feu, mais ne savent point même apporter à un foyer allumé, puis abandonné par les voyageurs, les matériaux destinés à l’entretenir. Ce petit briquet si élémentaire ne constate-t-il pas d’une façon merveilleuse la supériorité du raisonnement dont nous sommes fiers ? Le plus grossier habitant de l’Australie fait usage du briquet de bois, comme en ont usé les habitants raffinés des somptueux palais de Mitla, de Palenqué, d’Uxmal, ou les prêtres des théocalis consacrés aux dieux sanguinaires des Aztèques (1).
Sa simplicité a rendu sa construction facile à tous les peuples, mais, bien que le mécanisme primitif ait été partout le même, l’art employé pour en tirer le feu offre, comme on l’a vu, de nombreuses variétés. Cette première invention, si l’on veut bien y songer, a coûté plus d’efforts d’imagination aux hommes que le dernier de nos perfectionnements. Nos progrès sont successifs et s’enchaînent. On peut presque croire que l’idée du briquet de bois, comme la parole, est un bienfait primitif de la Divinité.
(1) La curieuse figure que nous offrons ici est tirée d’une savante collection imprimée à New-York et intitulée : Transactions of the american ethnological Society, vol. III, part. I, p. 77. Elle représente un sacrifice célébré en l’honneur de Xiuteuctli, le dieu du feu, le maître de l’année ; sa compagne Xochitli était, comme l’indique son nom, la déesse de la terre et des moissons. On célébrait deux fêtes en l’honneur de ce dieu : la première avait lieu au mois de février, c’était durant cette dernière solennité que le feu du temple était renouvelé au moyen du fameux briquet. Les habitants des plus simples habitations venaient chercher dans le temple le feu sacré. Ici, le prêtre consécrateur est placé sur le dos d’un serpent symbolique. »
Article rédigé par Laurent Bastard, merci