Le romancier Paul FEVAL (1816-1885) a publié en 1842 un roman intitulé « Rollan Pied-de-Fer » qui met en scène un héros, jeune militaire démobilisé, doué d’une quasi invincibilité. L’action se déroule en 1648, à Goëllo, entre Hédé et Bécherel (Basse-Bretagne, aujourd’hui Ille-et-Vilaine). Corentin, l’ancien fiancé d’une jeune fille qui lui a préféré Rollan, voue à ce dernier une haine froide. Pour vider la querelle, ils décident une nuit de se battre en duel au bâton…
« Tous deux étaient munis de minces bâtons de houx, terminés par un noeud arrondi : arme terrible dans la main de ces hommes exercés à son maniement depuis l’enfance (…)
La lune, voguant entre les nuages comme une blanche nef entourée d’écueils, éclairait la scène ; pour un instant, les deux champions se voyaient aussi distinctement qu’en plein jour. Ils saisirent leurs bâtons par le petit bout ; les coups retentirent, précipités, comme les fléaux sur le chaume au temps de la moisson. Corentin était passé maître au maniement de cette arme du paysan breton : tantôt il assénait de terribles coups, laissant à son bâton sa longueur entière et tout son poids ; tantôt, l’empoignant par le milieu, il commençait un moulinet imprévu, rapide, étourdissant, afin de faire sauter l’arme de son adversaire. Mais Rollan se montrait vif à la parade. Sans avoir la même habileté que Corentin, il se couvrait toujours avec un inaltérable sang-froid, et plus d’une fois le géant recula d’un pas, en sentant le vent du bâton de Rollan à quelques lignes de son visage.
D’abord, chaque fois que la lune glissait sous un nuage, ils s’arrêtaient d’un commun accord ; mais ensuite, animés par l’ardeur du combat, ils frappèrent sans relâche : l’obscurité neutralisant l’adresse, les coups arrivaient à destination ; le gros bout du bâton rebondissait sur la chair. Et la lutte se prolongeait, silencieuse, acharnée ; on n’entendait que le retentissement du bois contre le bois, et l’haleine oppressée des deux combattants. Quand la lumière reparaissait, ils se parcouraient avidement du regard, cherchant la meilleure place pour frapper un coup décisif ; chacun cherchait quelque blessure au corps demi-nu de son adversaire : rien. Tous deux restaient également intacts, et la lumière, leur rendant leur adresse, ne faisait que prolonger la bataille.
Au bout d’une heure, Corentin jeta au loin son bâton et se coucha par terre ; Rollan retint son bras levé. Tandis que le colosse, haletant, épuisé, se roulait sur le gazon humide, Rollan se contenta de passer sa main sur son front, où brillaient quelques gouttes de sueur.
- Le bâton ne vaut rien, dit-il en brisant le sien sur son genou. Luttons. »
On comparera ce combat nocturne au bâton avec celui décrit par George Sand dans « Les Maîtres sonneurs », qui se déroule dans le Bourbonnais, à la fin du XVIIIe siècle, durant la nuit également (voir l’article Le combat des maîtres-sonneurs, par George Sand (1853). Rappelons aussi que Paul Féval a fait l’objet d’un article où est évoqué un autre bâtoniste : Barbedor, un « fort-et-adroit », par Paul Féval (1865).
L’illustration du présent article est issue de Wikipédia et représente un portrait-charge de P. Féval par Etienne Carjat.
Article rédigé par Laurent Bastard. Merci