Ce n’était pas systématique, mais il arrivait qu’une cérémonie fût organisée lors de la remise de leur canne aux compagnons nouvellement reçus. Les documents sur ce sujet ne sont pas très nombreux, aussi est-il intéressant de prendre connaissance de celui qui suit, publié dans le journal « Le Ralliement des Compagnons du Devoir » du 15 novembre 1905, p. 2. L’article est signé de Jean GERMAIN, compagnon menuisier de La Rochelle, théâtre de ce qui suit. (Nous avons transcrit les nombreuses abréviations d’usage et supprimé quelques passages d’intérêt secondaire).
REMISE DE CANNES COMPAGNONNIQUES
Les Compagnons maréchaux de la Ville de La Rochelle ont invité toutes les corporations compagnonniques de cette ville pour une cérémonie toute fraternelle : la remise de 5 cannes à des jeunes compagnons maréchaux et conduite en Devoir pour un de leurs compagnons.
Voici leurs noms : 1° Pénot Edouard, dit Guépain Va Sans Peur (partant) ; 2° Pinault Luc, dit Berry la Sagesse ; 3° Nottin Eugène, dit Berry le Courageux ; 4° Rocheteau Gaston, Edouard dit Saintonge la Belle Prestance ; 5° Lacoste Jean Albert, dit Périgord Coeur Content.
Les compagnons se sont empressés de répondre à leur appel et le dimanche 17 septembre à 1 heure de l’après-midi se réunissaient chez notre mère corporative, Madame Trespeuch, un grand nombre de compagnons. (…)Compagnons et aspirants ne se sont pas faits prier et c’est à peine si tous pouvaient contenir dans notre grande salle des fêtes.
Tous placés, les compagnons d’un côté, les aspirants de l’autre, le Pays rouleur Lachaumette Alfred, dit Limousin l’Estimable, dispose les 5 cannes sur la table d’honneur et fait la cérémonie du Devoir à cet effet. Les compagnons se tiennent debout sur son ordre, en signe de grand honneur et hommage à l’emblème du Devoir.
Le compagnon Tafforin dit Poitevin la Prudence, 1er en ville, prend la parole et prononce le discours suivant :
« Chers Compagnons,
Au nom des compagnons maréchaux de la ville de La Rochelle, je remercie bien sincèrement les corporations qui ont bien voulu rehausser l’éclat de cette cérémonie toute fraternelle.
Jeunes compagnons, vous avez devant vous des compagnons d’élite, d’honneur et de mérite, ils ont tous fait leur tour de France en soutenant de toutes leurs forces le vrai Devoir.
Ils en ont acquis une expérience à force de travail et d’épreuves, qui leur dit : Nous devons toujours montrer aux jeunes compagnons combien les emblèmes du Devoir sont chers à nos coeurs.
La canne qui vous est remise aujourd’hui est l’insigne le plus officiel du compagnon ; elle indique le voyage, trace la route de l’honneur et inspire le respect personnel pour chaque compagnon qui sait la porter dignement, car elle n’est pas destinée à la force brutale, aux batailles sans nom, mais bien à la sagesse du Devoir, évitant le plus possible les disputes avec nos adversaires ; repoussons-les loin de nous par leur simple erreur.
Ce gage précieux de valeur et de gloire est estimé par nous, comme le plus précieux des souvenirs de nos voyages ; elle doit être portée avec décence et respect de nous-même par une tenue des plus correctes et ne jamais paraître dans les endroits déplacés.
Jeunes compagnons, inspirez-vous donc des vrais principes du Devoir, et rappelez-vous que le compagnon qui fait son devoir n’est pas libre de faire à sa tête, mais qu’il doit suivre ponctuellement les idées réfléchies de tous les honnêtes compagnons.
Recevez au nom de nos fondateurs l’emblème le plus cher au Devoir. Chers compagnons, portons tous ensemble un toast au vrai Devoir et aux compagnons du Tour de France ».
Les compagnons ont fort applaudi le discours du 1er en ville et servent ensuite large rasade pour porter la santé à tous les compagnons restés fidèles au Devoir.
Le rouleur remet ensuite à chaque compagnon par son Devoir la canne qui lui est destinée, et les met de suite en ligne d’un cortège en leur honneur, ainsi qu’à celui du partant.
Bientôt la rue est couverte de compagnons. Les aspirants viennent ensuite fermer le cortège, heureux de défiler à la suite des compagnons. Le cortège s’ébranle par un beau soleil faisant briller nos cannes et nos couleurs ; nous parcourons les plus belles rues de la ville et nous nous dirigeons ensuite sur le champ de conduite où nous devons faire nos adieux au partant.
Après les cérémonies d’usage et le partant mis sur les champs, le cortège se reforme et rentre en ville chez notre mère, dans un caractère des plus joyeux. Les compagnons et aspirants se mettent à table pour le casse-croûte et chantent le Devoir à qui mieux mieux. (…) »
Précisons pour la bonne compréhension du texte que le rouleur est le compagnon qui règle une cérémonie, que le 1er en ville est le président d’une société compagnonnique et que la cérémonie d’accompagnement à la sortie d’une ville est dénommée « conduite ». Lors de celle-ci, le « partant » est « mis sur les champs ».
La photo illustrant cet article est un détail d’une photo de groupe de compagnons maréchaux-ferrants du Devoir, lors de la Saint-Eloi, à Tours, vers 1900. Ce sont des cannes analogues qui furent remises à ceux de La Rochelle.
Article rédigé par Laurent Bastard. Merci
Je relève, dans ce discours, au 5ème alinéa, une allusion directe à la chanson composée par le Compagnon cordier du Devoir CALLAS, dit l’Ami des Filles le Languedocien, « La canne », publiée dans « Les Muses du Tour de France », pages 84-85, au 2ème couplet :
La canne, gage précieux
De la valeur et de la gloire
Bien observé ! Le texte complet de cette chanson a été publié sur le présent site du CRCB, le 10 mars 2010, sous le titre : « Une chanson dédiée à la canne, par Pierre Calas, compagnon cordier (1864) ».