Emmanuel GONZALES, romancier et feuilletoniste (1815-1887), publia en 1838 « Les Mémoires d’un ange », qui connut plusieurs rééditions, notamment en feuilleton dans le « Journal de la semaine » en 1867.
L’histoire se déroule durant la Révolution et une jeune noble, Camille, s’enfuit avec Octave de Chavannes, qui en est très épris. Les voici arrivés en Poitou, dans le Bocage vendéen. Ils se croient à l’abri dans le dédale de haies et de fossés, mais une nuit ils se trouvent à deux pas d’une troupe de soldats républicains, surnommés « les bleus ». Camille et Octave observent, cachés, la scène qui se déroule sous leurs yeux. Les soldats se sont égarés et n’ont trouvé qu’un garçon un peu simple, vêtu d’une peau de bête, pieds nus, pour les conduire au château d’un marquis conspirateur, qu’ils espèrent bien fusiller.
Mais le garçon, plus malin qu’il n’en a l’air, semble vouloir les égarer et les soldats commencent à en concevoir des soupçons.
Le chapitre VIII est intitulé « Le bâton creux » et figure dans le « Journal de la semaine » n° 786 du 15 septembre 1867 .
« Le Poitevin s’écria en montrant le gars à l’officier :
- Vous voyez bien que c’est un enfant de brigand, car il hurle comme les loups. Qu’ordonnez-vous ?
- Il y a vingt minutes que je vous ai dit de le dépouiller de ses haillons et de le fouailler, répondit le lieutenant avec émotion, en se retirant en arrière et en abandonnant le malheureux à son destin.
Le Poitevin saisit rudement le gars par les épaules, lui arracha son sayon, sans se soucier de froisser et de meurtrir ses membres grêles, déjà déchirés par les ronces, et jeta ce haillon dans le brasier en disant ;
- Tes hardes au feu pour commencer, cadet !
L’enfant sourit d’un air stupide et frappa, comme en se jouant, le bras du soldat avec le bâton noueux qu’il n’avait pas lâché.
- Le drôle veut résister, je crois ! dit le Poitevin surpris et furieux ; il voulut arracher ce bâton à l’innocent.
Mais, à cette tentative, une lueur d’intelligence vaillante et désespérée étincela dans les yeux du gars, et il se cramponna de toute la force de ses mains longues et maigres au précieux bâton.
Le robuste soldat saisit alors son débile adversaire dans ses bras, l’étouffa presque dans une étreinte effroyable et le rejeta ensanglanté sur sa paille, en s’écriant avec mépris :
- Roquet ! voilà comment on traite les chiens mal dressés.
Il éleva triomphalement en l’air le bâton et le fit retomber sur les épaules nues de l’idiot.
Le bâton se brisa en trois morceaux.
- Voilà du nouveau, mon lieutenant, dit le Poitevin. Le chalumeau du brigand est creux.
Des papiers tombèrent du bâton.
- Donnez, dit vivement l’officier.
Les soldats ramassèrent ces chiffons de papier et les lui remirent. Il les déplia soigneusement et se mit à les lire avec la plus profonde attention.
Dès qu’il eut fini, il dit d’une voix brève :
- Vous ne vous étiez pas trompés, camarades. Cet enfant nous trahissait. Quand nous l’avons rencontré, il portait les dépêches cachées dans ce bâton creux au citoyen marquis de Lescure. Il a lui-même dicté tout à l’heure son châtiment. Mais pas de cruautés inutiles. Qu’on le fusille ! »
Nous avons déjà rapporté le cas de bâtons creux où l’on dissimulait de la correspondance et l’on se reportera aux articles suivants : Le bâton porte-documents, par G. Aimard (1865) ; Le budstick ou bâton de messager norvégien ; La canne à lettre cachée, par Boccace (1348).
Article rédigé par Laurent Bastard, merci