L’un de nos correspondants a eu la gentillesse de nous adresser une photo de l’un des brevets de sa collection et nous l’en remercions.
Il s’agit d’un document remarquable par son ancienneté, la scène représentée et sa localisation. Ce brevet a en effet été délivré au nommé Etienne Thibault, canonnier au 1er régiment d’artillerie stationné à Cadix, en Espagne.
Voici d’abord la transcription du brevet :
« CORPS ROYAL DE L’ARTie [Artillerie] (ici des armoiries militaires représentant deux canons en sautoir sur des boulets empilés, surmontés d’une grenade enflammée, entourés de rameaux de chêne (la force) et d’olivier (la gloire). DIVISION MILITAIRE DE CADIX
En dessous, le dessin aquarellé de deux bâtonnistes, celui de gauche désarmé par celui de droite. Ils sont placés sur une plate-forme rectangulaire. Ils ne portent aucune protection. On notera l’absence de décor habituel (trophées, public, allégories).
GLOIRE A DIEU. HONNEUR AUX ARTS
BREVET DE MAITRE
Tous soussignés Maîtres Bâtoniste de la Garnison de Cadix certifions que le nommé Thibault Etienne premier canonnier à la première Compagnie du premier Régiment d’artillerie, élève du sieur Favrel Jean-Pierre, canonnier à la deuxième Compagnie du septième régiment d’artillerie à pied, a été reconnu parmi nous en qualité de Maître de Bâton, qu’il a par sa bonne conduite notre estime et notre attachemens, par ses soins, son application et son zèle, propagé l’art du Bâton, qu’en un mot lui ayant trouvé les moyens et connaissances nécessaires, c’est pourquoi nous l’avons admis comme Maître. Nous prions en conséquence tous les artistes en fait de Bâton de le recevoir en ami et de le traiter en frère, promettant d’en agir de même à l’égard de tous ceux qui se présenterons à nous.
Cadix le 27 septembre 1827 »
(suivent 24 signatures).
Si ce brevet émane d’un régiment stationné à Cadix, cela ne signifie pas qu’il atteste la pratique de l’art du bâton chez les Espagnols mais bien des Français. Il faut donc rappeler pourquoi ils étaient en Espagne à cette date.
En 1820, le roi Ferdinand VII fait face à un soulèvement populaire conduits par les libéraux, favorables à une monarchie constitutionnelle et hostiles au pouvoir absolu. En 1822, des élections aux Cortes (chambres) donnent la victoire aux libéraux et Ferdinand VII, sentant son pouvoir diminué, demande l’aide des monarchies européennes. En 1823 le roi Louis XVIII annonce son soutien au roi d’Espagne.
80 000 soldats français composent l’armée d’Espagne et y pénètrent le 7 avril 1823. A la mi-juillet ils sont à Cadix. Le 30 septembre la ville capitule et le 3 octobre les Fraçais investissent la ville. Le roi Ferdinand VII abolit les mesures décidées par les Cortès et retrouve l’exercice de son pouvoir absolu.
45 000 soldats Français resteront en Espagne jusqu’en 1828.
C’est donc durant cette occupation consentie par le monarque espagnol que fut délivré le brevet de maître de bâton au premier canonnier Etienne Thibault.
Comme nous l’avons déjà fait observer à propos d’autres brevets de maîtres bâtonnistes ou cannistes, le texte se présente par son style et son contenu exactement comme ceux attestant l’admission d’un membre au sein d’une confrérie de type maçonnique ou compagnonnique. Par ses mérites le nouveau maître se voit reconnu comme un frère au sein d’un groupe d’élite. Ses pairs lui promettent aide et assistance et il promet d’agir de même.
Article rédigé par Laurent Bastard, merci