Le rite de la voûte de cannes a été notamment pratiqué par les scouts et les compagnons du tour de France, mais celle qui suit est originale et émouvante.
Dans l’étude sur « Un rite de passage rénové et popularisé, la voûte », publiée en avril-décembre 1957 dans la revue « Arts et traditions populaires », Roger LECOTTE a signalé, p. 278, dans la section « Voûtes sociales, groupes des déshérités », des voûtes de cannes blanches d’aveugles (civils, mariage Bouton, sortie d’église à Saint-Omer en 1954), et d’aveugles de guerre (mariage Salmon, sortie d’église au Val-de-Grâce à Paris en 1950). Il signale aussi la voûte formée de cannes de malade et voici son texte :
« Cannes de malade (amis du poliomyélitique), début du tour de chant de Bertola (music-hall, Paris), dans « Le Provençal », Marseille, 29 janvier 1957 ». Et il ajoute en note : « Les amis de Bertola brandissent leurs cannes tandis que le clown Zavatta fait boire, à la bouteille, une cane vivante (blason parlant) que tient le chanteur au visage bouleversé d’émotion, contrastant avec la joie générale. C’est le document le plus poignant de toutes les voûtes étudiées. »
Et la dite photo (agence photo Keystone) est reproduite en annexe de cette étude très documentée sur un rite d’honneur qui s’est répandu surtout après la guerre, lors des mariages principalement.
Jean Bertola débutait alors sa carrière. Né en 1922 à La Roche-sur-Foron (Haute-Savoie), il fut frappé à deux ans par la polio, maladie virale alors encore très répandue, qui occasionna la paralysie de sa jambe droite. Passionné de musique (élève du conservatoire de Chambéry), il monta à Paris en 1952 et accompagna Charles Aznavour. Il enregistra ses premiers disques et obtint en 1957 le Grand prix du disque. Il rencontra Georges Brassens et en devint le secrétaire artistique. Après la mort de G. Brassens en 1981, il enregistra 17 de ses chansons posthumes. Jean Bertola décéda en 1989.
La photo de Jean Bertola ému, sous la voûte des cannes, peut entraîner un sentiment de gêne. On ne peut s’empêcher de penser que tous ces valides ou non, qui brandissent leur canne, ne font que souligner le handicap du chanteur (le geste est à rapprocher de la remise d’une canne aux cheminots retraités – voir l’article : Quand la C.G.T. remettait la canne de l’amitié aux cheminots retraités). Mais notre sensibilité a évolué depuis 1957 ; peut-on imaginer aujourd’hui faire une voûte de roues de voitures au-dessus d’un marié en fauteuil roulant, de cannes blanches ou de prothèses au-dessus d’un aveugle ou d’une personne mutilée ? Et pourtant, loin de souligner le handicap, la voûte de 1957 était aussi une façon de dire : « Eh oui ! tu portes une canne à cause de la polio, mais cela ne t’empêche pas d’avoir des amis et d’avoir surmonté les difficultés de tes premières années ». C’était une manière de se moquer de la maladie (mais pas du malade !), une forme d’évacuation de la tristesse par la parodie et le rire.
Article rédigé par Laurent Bastard, merci