Cet objet a fait couler beaucoup d’encre et continue à susciter des hypothèses. Voici ce que l’on en disait déjà en 1919, dans la revue « Sciences et voyages » du 20 novembre. L’article signé Albert GOREY est intitulé plaisamment « Les hommes des cavernes avaient déjà leurs bâtons de maréchal » :
« Vers la fin de l’âge de la pierre taillée, à l’époque du renne, on trouve dans nos stations préhistoriques un assez grand nombre d’ « objets de destination encore obscure, formés d’un bois de renne coupé à petite distance au-dessus ou au-dessous de la naissance d’un andouiller. Au point de convergence des trois cylindres osseux ainsi isolés du reste du bois, on trouve généralement un trou, parfois aussi le même bâton en porte jusqu’à quatre. Dans l’intervalle des trous se voient souvent des gravures ou des sculptures représentant des animaux, des scènes de chasse, etc. »
Cette description, que nous empruntons à M. Salomon Reinach, le savant conservateur des antiquités nationales du musée de Saint-Germain, s’applique à une série d’objets qui constituent l’une de ces énigmes si nombreuses dans la préhistoire (…)
A quoi servaient ces instruments étranges ?
Pour les uns, c’était simplement un appareil dont l’homme primitif se servait pour redresser ses flèches, appareil non sans quelque analogie avec un instrument de même destination, dont se servent encore les Esquimaux modernes.
Pour d’autres, c’était un casse-tête, arme de chasse ou de guerre, équivalent du pagamogan des Indiens riverains du fleuve Mackenzie.
Des savants qui font autorité, comme Lartet et Broca, ont vu dans ces objets énigmatiques des sceptres où le nombre des trous indiquerait la dignité des chefs. Et c’est cette hypothèse qui a servi à baptiser les « bâtons de commandement ».
Un archéologue italien, Pigorini, estimait que ces bâtons servaient pour l’attelage ou pour la monture des rennes et qu’on fabriquait avec eux des chevêtres pareils à ceux que les habitants de la Sardeigne et les Lapons emploient aujourd’hui.
Un archéologue allemand, Schoetensack, a émis l’hypothèse que les bâtons troués seraient de simples agrafes de vêtement : le manteau de peau dont l’homme de l’âge du renne s’enveloppait aurait été fermé à l’aide d’un lien dont les extrémités libres, munies d’olives terminales, étaient passées dans les trous du bâton.
Pour M. Salomon Reinach, ces bâtons ne sont ni des armes, ni des outils, mais des objets de luxe, d’apparat ou de culte : il les a comparés à ces trophées de chasse, cornes d’urus ornementées, que César signale chez les Germains, insistant également sur le caractère magique de ces bâtons qui auraient pu servir à certaines pratiques superstitieuses comme on en rencontre tant dans les civilisations primitives. »
Pour le préhistorien André LEROI-GOURHAN (1911-1986) dans « Les Hommes de la préhistoire ; les chasseurs » (Ed. Bourrelier, 1955), les « bâtons à trous sont des pièces en bois de renne, percées à une extrémité d’un trou du diamètre du pouce. Ces objets, qu’on appelle parfois « bâtons de commandement », devaient servir en fait à redresser à chaud des pointes de sagaies. En effet, les sagaies taillées dans des lamelles de bois de renne épousaient la ligne courbe de la ramure de l’animal ; on pouvait les redresser en les chauffant et en se servant des bâtons à trous comme leviers. Quand on retrouve ces sagaies au cours des fouilles, elles ont le plus souvent repris leur ancienne courbure et seraient inutilisables pour la chasse. »
Aujourd’hui, les préhistoriens demeurent divisés quant à la fonction exacte de ces « bâtons percés », terme qui ne désigne plus qu’une forme et qui s’est substitué à celui de « bâton de commandement », qui renvoie à une fonction hypothétique.
Sur Wikipédia, à « bâton de commandement », on apprend que ces objets se rencontrent au Paléolithique supérieur (de l’Aurignacien au Magdalénien), entre 23000 et 12000 ans avant J.-C.
Les hypothèses sur son usage sont celles d’un symbole de fertilité (association du pénis et du vagin), d’un redresseur de sagaies (hypothèse communément retenue), d’un attache-robe, d’un calendrier utilisé par les sages-femmes, d’un bloqueur de cables (pour suspendre les peaux destinées à protéger l’abri) ou encore d’un propulseur de sagaies.
Cette dernière fonction a été vérifiée expérimentalement. « Le bâton percé est utilisé en passant la corde à travers le trou, et en mettant la corde parallèle à l’axe du bâton. Il est tenu à la main, au-dessus de l’épaule, et est lancé par dessus. La longueur du bâton percé sert à augmenter l’effet de levier du lanceur, ce qui donne plus de vitesse, et la corde fonctionne comme une flèche suisse, ce qui augmente encore plus le levier. Une telle utilisation du bâton percé donne une augmentation de 127 % de portée en comparaison à la même lance jetée à la main. »
On peut voir plusieurs bâtons percés au musée d’archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye ou encore au muséum d’histoire naturelle de Toulouse.
Les dessins illustrant cet article sont extraits de la revue « Sciences et voyages » et la photo du livre de Leroi-Gourhan.
Article rédigé par Laurent Bastard. Merci