La canne des puissants de ce monde était jadis à redouter. On l’a vu en ce qui concerne celle de Louis XIV et de Pierre le Grand. Voici à présent celle du pape Jules II (1443-1513). Il avait confié à Michel-Ange la peinture de la voûte de la chapelle Sixtine, mais il s’impatientait. Or Michel-Ange s’en allait souvent pour affaires à Florence et quand il revenait, il répondait toujours « Quand je pourrai ! » à la question de Jules II : « Quand auras-tu fini ? ».
« Un jour encore, moins bien disposé que de coutume, le pape lui réitère la question (…) et il n’obtient pour réponse que le « Quando potro ! » habituel. Rouge de fureur, le pape balbutie « Quando potro ! Quando potro ! » et s’élançant vers Michel-Ange, il le frappe de sa canne. »
Sous l’affront, Michel-Ange quitta aussitôt le Vatican. Le pape lui fit porter une bourse de 500 ducats en guise d’excuses et le peintre revint pour achever enfin son oeuvre en 1512. Un an plus tard, le pape mourait.
L’anecdote est rapportée dans divers ouvrages, dont les « Mémoires pour l’histoire des sciences et des Beaux-Arts » (1750), p. 1125 et « Trois semaines en yacht sur les côtes d’Italie » (1868).
Céline FALLET, dans « Les Princes de l’art : architectes, sculpteurs, peintres et graveurs » (1870), p. 63, en donne une version inverse dans sa fin : « On dit qu’un jour, Michel-Ange ayant osé soutenir, en fait d’art, une opinion différente de celle de Jules, celui-ci leva sur lui la canne dont il aidait sa marche chancelante. De qui que ce fût au monde, Michel-Ange n’eût point supporté une telle violence ; mais il resta calme devant son protecteur et son ami, qui, honteux de s’être laissé emporter par la colère, le supplia de lui pardonner. »
Jules II était colérique. Une autre fois, Michel-Ange n’avait pu être reçu par le pape comme il le souhaitait. Mécontent, il quitta Rome pour Florence. Jules II, fort contrarié du départ de l’artiste et de son refus de revenir, l’envoya quérir par son armée. Michel-Ange jugea plus prudent de se rendre à Bologne, à la rencontre du pape, et s’inclina devant lui. C’est alors que le cardinal Soderini crut bon d’excuser l’artiste en insistant sur ses défauts. La suite est racontée par Alexandre DUMAS dans « Michel-Ange et Raphaël » (1846), p. 56, et provient de VASARI (Les Vies des plus excellents peintres, 1560-1570) :
« Jules II n’y tint plus, et, frappant d’un coup de canne le maladroit cardinal, s’écria d’une voix de tonnerre : – Comment, malheureux ! tu oses dire des injures à mon sculpteur ! c’est toi qui es l’ignorant et le pécheur, ôte-toi de mes yeux ! »
Article rédigé par Laurent Bastard. Merci