Dans sa célèbre nouvelle « Strange case of Dr Jekyll and Mr Hyde » (L’Etrange cas du Docteur Jekyll et de Mr Hyde), publiée en 1886, Robert Louis STEVENSON (1850-1894) décrit le dédoublement de personnalité du docteur Jekyll, sous l’effet d’une substance de sa composition. Utterson, le notaire du médecin, enquête sur les liens mystérieux qui unissent Jekyll et Hyde, et découvre peu à peu qu’ils ne sont qu’une seule personne…
C’est au chapitre IV, intitulé « Le meurtre Carew », qu’intervient l’instrument d’un horrible assassinat perpétré par Hyde : sa canne. Voici les extraits où il en est question, issus de la traduction Lowe et de l’édition Plon, en 1890 (en ligne sur Gallica).
Une servante, qui était à sa fenêtre la nuit du crime, raconte avoir vu « un vieux monsieur, à l’air vénérable et à cheveux blancs, qui s’avançait dans la ruelle à la rencontre d’un autre personnage, un homme d’une taille au-dessous de la moyenne (…). Le plus vieux monsieur salua et accosta l’autre avec beaucoup de politesse (…) ses traits respiraient la douceur et la bonté, et cependant il avait aussi quelque chose de grand et d’imposant (…). Elle porta alors les yeux sur l’autre individu et fut surprise de le reconnaître pour un certain M. Hyde, qui était une fois venu pour voir son maître, et pour lequel elle avait, à première vue, conçu une espèce d’aversion.
Il avait à la main une lourde canne, qu’il s’amusait à faire tourner ; mais il ne disait pas un mot et paraissait écouter son interlocuteur avec une impatience mal contenue. Tout à coup il devint très en colère, frappant du pied, brandissant sa canne, comme un fou (d’après le rapport de la jeune fille). Le vieux monsieur fit un pas en arrière, avec une expression de surprise et l’air un peu fâché ; alors M. Hyde sembla avoir perdu tout empire sur lui-même ; il se mit à l’assommer à coups de canne, ne s’arrêtant qu’après que sa victime fut tombée ; ensuite, il piétina son corps avec une fureur de singe et lui appliqua une grêle de coups telle que les os furent horriblement fracassés ; le corps en sursauta. »
Lorsque la police arrive elle découvre que « la canne avec laquelle cet exploit avait été accompli était d’un bois très rare, et quoiqu’il fût aussi lourd et très dur, elle s’était rompue au milieu sous la violence de cette cruauté insensée ; un bout qui était fendu avait roulé dans le ruisseau, l’autre, sans aucun doute, avait été emporté par le meurtrier. »
On découvre sur le corps une lettre destinée au narrateur, le notaire Utterson, ami du Dr Jeckyll. Conduit devant la victime, il découvre avec effroi qu’il s’agit d’une haute personnalité, Sir Danvers Carew.
L’officier de police montre à Utterson le morceau de canne brisée. Il « s’était déjà senti mal à l’aise au nom de M. Hyde, mais à la vue de la canne, il ne put douter plus longtemps ; toute brisée et abîmée qu’elle fût, il la reconnut comme un cadeau qu’il avait fait lui-même à Henry Jekyll, quelques années auparavant. »
Lors de l’inspection du domicile de M. Hyde, on retrouve l’autre moitié de la canne, ce qui surprend le policier : « Il doit avoir perdu la tête, ou il n’aurait jamais laissé le bout de canne derrière lui (…) ».
L’illustration de cet article est une image du film américain de Robert Mamoulian (1932), avec Fredric March dans le rôle de Hyde / Jekyll. Elle est extraite de « Le Fantastique au cinéma », de Michel LACLOS, Ed. Jean-Jacques Pauvert (1958).
Article rédigé par Laurent Bastard, merci