Dans la liturgie chrétienne, lors de l’office des Ténèbres qui a lieu le Jeudi-Saint et qui est lié à la mort du Christ, le prêtre « fait du bruit » en claquant fortement sa bible ou en frappant des morceaux de bois. Ce rite a pour fonction de rappeler que la mort du Christ s’accompagna, selon les Evangiles, d’un tremblement de terre et de bruits effrayants. A partir de là se sont développées des coutumes populaires surprenantes, partout en France, mais sans doute aujourd’hui abandonnées, qui consistaient à faire du bruit avec des planchettes, des crécelles, des castagnettes, des maillets, des trompettes, des grelots, etc. .
Mais elles n’ont pas sombré dans l’oubli grâce au grand folkloriste (ou ethnologue) Arnold VAN GENNEP (1873-1957). Il entreprit un énorme travail d’investigation sur les us et coutumes, qu’il publia à partir des années 1930 sous le titre de « Manuel de folklore français contemporain ». C’est du premier tome (réédité chez Robert Laffont, dans la collection Bouquins) que nous avons extrait ce qui concerne l’usage de bâtons pour faire du bruit lors de la messe du Jeudi-Saint ou du Vendredi-Saint.
« Dans le Mâconnais, le bruit dans les églises était tantôt interdit, tantôt approuvé par les curés et se faisait en frappant le mobilier de l’église avec des bâtons et des maillets (…)
Bresse louhannaise. Dans quelques paroisses, les plus grands enfants portaient à l’église, le Vendredi-Saint, un grand bâton bien tourné, bien bariolé et fendu à l’une de ses extrémités en quantité de petits morceaux : c’était « porter les ténèbres ». après avoir été bénis, ils les brisaient en frappant le plus fort possible le sol de l’église, qui était jonchée de leurs débris. Les femmes en ramassaient les morceaux et en jetaient dans le foyer pour garantir de la foudre. (…)
Guyenne. (Divers auteurs) parlent de « bâtons de saule à l’écorce artistement découpée », que les jeunes gens frappent à coups redoublés sur les dalles du choeur ou le seuil de l’église, genou en terre ; les éclats volent de tous côtés et sont ramassés pour être placés sur les toits contre la foudre et dans les vignes, fixés à des échalas, aux quatre coins du vignoble.
Même coutume dans les Landes. Les bâtons y sont en bois de bourdaine et la décoration par guillochage de l’écorce y est plus riche ; leur nom général est « mailloque ». En frappant les planches placées autrefois dans le choeur pour en protéger les carreaux, de nos jours le seuil et les marches de l’église, ainsi que les murs de granges et les arbres voisins, les jeunes gens criaient : « Truque mailloque – Darré lou pourtaou (ou l’oustaou) – Bat’eun Couaresme – Tourne Carnaoù (reviens, temps de chair).
Ici aussi les fragments étaient recueillis pour être fichés en terre aux quatre coins des champs de lin et contre les taupes ; on choisissait les plus longs brins pour que le lin pousse aussi haut qu’eux.(…)
Limousin.
A Neuvic, pas de vacarme à l’église, mais, dans le dernier quart du XIXe siècle, les jeunes gens s’introduisaient, à l’office des Ténèbres, dans la chapelle de saint Thomas, enlevaient la statue et lui administraient une volée de coups de pierres et de bâton, peut-être pour faire du saint le bouc émissaire des péchés de Neuvic. (…)
Roussillon. A Palalda, encore au XIXe siècle, toute la population, armée de bâtons, frappait en défilant les fers de chevaux cloués sur la porte de l’église ; après la perte de deux ou trois de ces précieux fers, le clergé décida de supprimer cette cérémonie. (…)
A Perpignan, encore en 1816, les enfants frappaient de leurs massues les portes des maisons et le pavé des rues, avec accompagnement d’une chanson affirmant la mort de la Carême et priant les gens de sortir pour manger de la chair. »
L’illustration représente la crucifixion du Christ et est attribuée au peintre Pérugin.
Article rédigé par Laurent Bastard. Merci