Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
Bibliothèque de ressources historiques, culturelles, artistiques, litteraires, sportives…sur la canne et le bâton, en France et dans le monde…
« A MA CANNE », PAR TOURANGEAU LA FIERTE DU DEVOIR (1901)

Voici une nouvelle chanson dédiée à la canne d’un compagnon du tour de France, en l’occurrence un boulanger, nommé Victor SOTOM dit « Tourangeau la Fierté du Devoir », reçu à Bordeaux en 1894. Dans le journal « Le Ralliement des compagnons du Devoir » du 24 février 1901, il livre l’une de ses poésies, en prévenant « les Compagnons lecteurs du Ralliement d’avoir pour moi de l’indulgence car la poésie n’est pas mon fort, vous le verrez facilement ; il est vrai que je ne veux pas faire comme l’auteur de la belle pièce qui s’intitule l’Aiglon, c’est paraît-il, un chef-d’oeuvre comme poésie. »

C’était en 1901 et l’année précédente Edmond Rostand avait donné sa pièce de théâtre L’Aiglon, qui avait connu un immense succès ; aussi notre compagnon boulanger se montrait modeste avec son poème…

« A MA CANNE

Fidèle compagne, aimable et douce amie,
Tu me fais espérer, tu me fais oublier,
N’en doute pas, je t’aime et c’est l’âme ravie
Que sur ta pomme d’ivoire je pose un doux baiser.

Combien grande pour toi fut mon ingratitude.
Ne t’oubliai-je pas dans les jours de bonheur ?
Et pourtant aujourd’hui triste en ma solitude,
Tu viens discrètement réconforter mon cœur.

Tu n’as pas oublié ma première caresse,
Nos serments solennels et nos tendres amours,
Nos longs jours de bonheur, d’extase et d’ivresse,
J’étais un infidèle et tu m’aimais toujours.

Me pardonneras-tu de t’avoir délaissée,
Dédaignant ton amour, oublieux du passé,
Pendant que tu cachais, muette, résignée,
Ta profonde douleur en ton cœur ulcéré.

Tu suivis tout le cours de mes amours nouvelles,
Sans reproche, sans haine, avec ton désespoir,
Fixant ton oeil jaloux sur les brillantes dentelles
De celle qui jadis a pris ta place un soir.

Aujourd’hui je suis seul, rêveur, désœuvré, triste,
Oubliant le passé, aujourd’hui tu reviens,
Tu me pardonnes donc ; j’étais un égoïste,
J’oubliais mes serments quand tu tenais les tiens.

Mais puisque te voilà toujours tentante et belle,
Je jure sur l’honneur qu’au bon ou mauvais jour,
Dans l’heure du malheur, charmante jouvencelle,
O ma canne chérie, je t’aimerai toujours. »

Notre compagnon boulanger n’était pas un si mauvais prosateur qu’il le pensait. Quant au fond, on remarquera que ce poème s’ajoute à tous ceux, compagnonniques ou non, qui présentent la canne comme une personne, une femme, belle, trompée, supportant l’infidélité, mais pardonnant à son amant. N’est-ce pas extraordinaire ? Existe-t-il dans toute la littérature un seul objet qui ait été autant « anthropomorphisé » Et ce, alors même que rien ne ressemble moins à une femme qu’une canne, droite, sans appas, froide et muette ? C’est bien la preuve que cet objet si simple en apparence exerce un pouvoir magique de séduction sur certains hommes ! Docteur Freud, expliquez-nous pourquoi ?

Sur la comparaison canne / femme, on se reportera aux articles précédents : La canne, belle comme une femme, selon « Rochelais l’Enfant Chéri » (03-05-2010), L’énigme de la canne en vers (24-08-2011), « Adieux à ma canne », par Raymond Mahauden (1837) (27-03-2012), « Ma seule amie », par Saintonge la Liberté (vers 1866) (29-05-2012).

Article rédigé par Laurent Bastard. Merci :)

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