Il s’agit d’un jeu de bâton, mais vraiment d’un gros, d’un très gros bâton ! Pratiqué par les Ecossais, de nos jours encore, il a été longuement décrit dans le magazine « Lectures pour tous » de septembre 1910 sous le titre « Aux amateurs de sports inédits ». Voici de quoi il s’agit :
« Le « tossing of the caber » est un autre sport spécial aux Highlands. Il exige autant de force musculaire que d’agilité, et expose le joueur maladroit ou malheureux à des risques redoutables.
Le « caber », mot gaélique qui signifie pieu ou poteau, est une énorme poutre arrondie dont la longueur varie selon les clans entre 5 et 7 mètres, avec un poids de 100 à 110 kilogrammes. Généralement, les joueurs emploient le tronc d’un jeune mélèze.
Les règles du jeu ne sont guère compliquées : il s’agit « simplement » pour le joueur de soulever cette épaisse solive jusqu’à ce que l’extrémité inférieure s’appuie à son épaule, et de la rejeter alors loin de lui de telle façon que l’autre extrémité, en heurtant le sol, lui fasse décrire en l’air un arc de cercle, avant qu’elle retombe sur le terrain dans une direction perpendiculaire à la ligne tracée sous les pieds du lanceur.
« Simplement »… En l’occurrence, cet adverbe est une ironie. Songez au poids de ce tronc suspendu au-dessus de la tête du joueur ! Il lui faut déjà développer un énorme effort musculaire pour soulever cette masse jusqu’à son épaule, sans qu’elle culbute en avant ou en arrière, puis pour la maintenir en équilibre pendant qu’il prend son élan avant de la projeter dans l’air !
Voici comment s’opère ce prodige d’athlétisme. Le plus petit bout du tronc étant calé par le pied du joueur, le plus gros est soulevé par un aide jusqu’à ce que la poutre se dresse verticalement contre lui. Abandonné maintenant à ses seules ressources, il se courbe lentement, en faisant glisser son épaule droite sur le caber, qu’enlace son bras droit. Sa main gauche se glisse entre le bois et le sol ; et il se redresse, en soulevant ce poids énorme à la hauteur de sa poitrine.
L’instant décisif est arrivé. Précisons nettement dans quelle situation se trouve le « tosser ». Le tronc d’arbre, pesant deux cents livres, n’a plus d’autres points d’appui que les doigts enchevêtrés du joueur et le creux de son épaule ; ces points n’embrassent que la dixième partie du caber, et c’est dire que les neuf autres parties, suspendues en l’air, exercent une formidable pesée qui tend à leur faire abandonner la direction verticale.
Pour maintenir un équilibre aussi instable, l’homme exécute pendant quelques secondes des mouvements qui font croire qu’il chancelle et titube sous sa charge écrasante. Soudain, on le voit s’élancer en quelques pas rapides, puis s’arrêter, comme pour concentrer toutes ses forces physiques. Et, dans le même moment, l’épaule droite accomplit une brusque poussée, tandis que les mains soulèvent le tronc, en un effort suprême.
Projeté en avant, le caber heurte violemment le sol par son gros bout. C’est en cette seconde critique que la victoire se décide. Entraîné par l’élan, le tronc se redresse en tendant vers la perpendiculaire. Si l’élan est suffisant, le petit bout achève sa trajectoire, et le caber se couche sur le sol en pointant le gros bout vers le joueur. Si l’effort n’a pas été exécuté avec assez de vigueur, il retombe au contraire dans la direction de l’athlète, qui en est pour sa honte.
Ce jeu offre aux spectateurs des moments d’une émotion intense. Par exemple, il arrive souvent que la lourde solive reste pendant une ou deux minutes en équilibre sur son pied, après qu’elle a heurté le sol. Le sommet se balance de ci de là sans qu’on sache trop quelle direction il va prendre. C’est dans de pareilles circonstances que le « tossing of the caber » peut devenir un sport mortel. Hypnotisés, en effet, par le balancement du tronc, joueurs et spectateurs, afin de mieux juger du coup, se rapprochent inconsciemment de la zone dangereuse.
Et malheur au crâne que le tronc de mélèze s’en vient caresser brutalement !
Les Anglais et les Américains ont tenté à plusieurs reprises d’introduire chez eux ce sport héroïque ; une série de graves accidents les a contraints finalement à abandonner ce projet. Il est maintenant admis que, seul, un Highlander peut manier impunément le caber. En 1906, au meeting annuel du Highland Athletic Club de Londres, un policeman de taille gigantesque et de force herculéenne avait parié de lancer le caber. Une jambe brisée et une épaule fracturée furent les résultats de cet audacieux défi.
Dans les matches entre clans, les dimensions et le poids de la poutre font l’objet d’un premier concours. Si personne, parmi les concurrents, ne peut soutenir en l’air le tronc de mélèze, on en scie une portion au sommet. Et l’on répète l’opération jusqu’à ce qu’il soit maniable par un certain nombre de joueurs.
A nos athlètes de décider si le tossing of the caber s’introduira jamais dans nos mœurs sportives. »
Article rédigé par Laurent Bastard, merci