Dans la droite ligne des fêtes des fous qui ont perduré du Moyen Age au XVIIIe siècle, le carnaval d’Harfleur (Seine-Maritime) donnait lieu à une curieuse coutume. Une confrérie parodique promenait en grande pompe une scie enrubannée et un, puis deux, « bâtons friseux », c’est-à-dire « frisés » (enrubannés).
La procession se rendait d’Harfleur au Hâvre, au bruit des chansons. Devant la porte de la ville, on s’annonçait. Au « qui-vive ? » de la garde, on répondait « Folies d’Harfleur ! ». Une fois franchies les portes de la ville, la scie et les bâtons friseux étaient portés devant les autorités, le commandant de la place, le maire, etc. qui baisaient la scie et les bâtons. Puis la scie et les bâtons rentraient à Harfleur, jusqu’à l’année suivante.
La confrérie s’était érigée en organe judiciaire. Quand une femme était réputée battre son mari, on lui portait la scie, qu’elle devait conserver jusqu’à ce qu’une remplaçante ait été désignée. Quant aux bâtons, ils étaient remis au mari qui battait sa femme, avec la même peine.
Par la suite, on se contenta d’enterrer la scie et les bâtons friseux dans un verger, où se trouvait le réservoir de la ville, à la jonction de la rue de Montivilliers et de la rue des Mines.
A. CANEL, dans son « Blason populaire de la Normandie » (1859) consacre plusieurs pages à la Scie d’Harfleur. Il explique pourquoi, au XVIe siècle, la confrérie se dota de deux bâtons, alors qu’auparavant il n’y avait qu’un seul « bâton friseux », sorte de sceptre enrubanné qui n’est pas sans rappeler la marotte des fous (voir l’article). « En 1544, la ville d’Harfleur eut pour gouverneur Charles de Cossé-Brissac, dont les armes, de sable à trois faces dentelées par le bas, avaient beaucoup de ressemblance avec une scie. Cette circonstance n’échappa point aux associés, qui, voulant honorer leur gouverneur, donnèrent de nouveaux développements à leur confrérie. Ce ne fut pas tout encore : Charles de Cossé-Brissac ayant été nommé maréchal de France en 1550, les confrères, pour en perpétuer le souvenir et compléter leurs insignes, placèrent leur scie entre deux bâtons de maréchal de France, ainsi qu’ils avaient pu en trouver l’exemple sur l’écusson du noble personnage.
Ce sont ces bâtons qui ont été déjà mentionnés sous le nom de « bâtons friseux », ou « bâtons frisés ». Voilà qui nous ramène cette fois au bâton de maréchal (voir l’article).
Canel écrit que le carnaval et la procession de la scie d’Harfleur prirent fin à la Révolution, mais que leurs nostalgiques les ressuscitèrent de 1822 à 1827 (avec à nouveau un seul bâton friseux et sans baisement). Ensuite, la fête fut abandonnée.
Mais ce carnaval a été à nouveau sorti de l’oubli après la publication du livre de Canel (1859), sans doute au XXe siècle, puisqu’il se déroule encore aujourd’hui en avril. Une « société des Hautes-Folies d’Harfleur » s’est d’ailleurs fondée en 1997 pour contribuer à la réussite de la fête de la scie.
Article rédigé par Laurent Bastard. Merci
[...] bâtons enrubannés, festifs et en général associés aux jeunes gens, voir aussi les articles : La scie et les bâtons « friseux » d’Arfleur ; La canne enrubannée de l’abbé des Hautes-Alpes ; Cannes de conscrits et cannes de [...]