Le Dictionnaire de l’Académie française (1800) définit la houssine comme une « verge ou baguette de houx ou d’autres arbres, dont on se sert quelquefois pour faire aller un cheval. Donner un coup de houssine à un cheval. »
Quant au verbe « houssiner », il est défini ainsi : « battre avec une houssine : faire houssiner ses habits. On dit familièrement d’un homme qui a été battu : il a été houssiné ».
Cette définition du mot « houssine » fut commentée par un nommé Gabriel Feydel, qui, en 1807, dans ses « Remarques sur le Dictionnaire de l’Académie française » (p. 251) écrivit : « On se sert d’une houssine « pour faire aller un cheval », ce qui n’arrive pourtant qu’aux gens qui n’ont aucune connaissance de l’équitation. L’écuyer n’emploie jamais la cravache que lorsqu’il dresse un jeune cheval, ou quand il corrige un cheval rétif. Au reste, depuis que l’Académie française, d’après Richelet ou un autre, a fait venir très inutilement « Houssine » de « Houx », on voit parfois des messieurs de Paris se promener à cheval, une gaule de houx à la main. C’est ainsi que des erreurs de haut parage peuvent devenir de l’histoire. »
Pourtant, le Dictionnaire de l’Académie française ne tint pas compte de cette remarque et conserva cette définition jusqu’au XXe siècle. Il semble avéré que le mot dérive de « houx », dont le bois dur sert à confectionner des baguettes solides et flexibles. En revanche, les traités anciens de dressage des chevaux n’en préconisent l’emploi qu’envers les jeunes animaux et encore, avec modération. La houssine devint donc un accessoire qui prit place de la main du dresseur à celui du cavalier au début du XIXe siècle, avant de devenir une cravache.
Voici à présent un petit florilège de textes littéraires qui vont illustrer l’emploi du mot « houssine ». On y découvrira que, loin d’être seulement de houx, la houssine pouvait en effet être fabriquée avec d’autres bois mais qu’elle demeure toujours de faible diamètre et flexible.
Il y a d’abord Pierre de Ronsard (1524-1585) qui, dans la Franciade (1572) compare les mouvements d’un navire sur une mer déchaînée à ceux d’un serpent frappé d’une houssine : « La navire poussée / Ayant la proue et la poupe froissée / Roulait à peine : ainsi que le serpent / Qui sur le ventre à peine va rampant / Par le chemin, quand d’un coup de houssine / Quelqu’un luy rompt l’entre-deux de l’échine… »
Citons ensuite Jean-Louis Guez de Balzac (1597-1654), qui raconte dans Le Barbon (1638) les pouvoirs du roi d’Egypte Nectabis, capable de détruire à distance une flotte ennemie, d’un coup de houssine : « Il se fit apporter une houssine d’ébène, un bassin plein d’eau du Nil et une masse de cire vierge, de laquelle il forma quantité de marmousets, qui représentaient la flotte en petit ; et en même temps qu’avec la houssine il renversa les marmousets dans le bassin, l’armée navale des ennemis fit naufrage sur la mer. » Cette houssine-là était une baguette magique !
Le duc de Saint-Simon, dans ses Mémoires, parle d’un « M. de Saint-Louis (qui) avait eu un oeil crevé du bout d’une houssine en châtiant son cheval. » Voilà qui renvoie à l’emploi de la houssine pour le dressage des chevaux.
Au milieu du XVIIIe siècle, dans une lettre à Voltaire du 27 avril 1765, D’Alembert écrit : « J’ai commencé par des croquignoles, je continuerai par les coups de houssine, ensuite viendront les coups de gaule, et je finirai par les coups de bâton. » La graduation des sanctions permet de comprendre les effets modérés de la houssine, baguette flexible, alors que le bâton, dur et rigide, inflige une peine bien plus sévère à celui qui en reçoit les coups.
On en arrive au XIXe siècle. Citons d’abord Amans-Alexis Monteil (1769-1850) qui, dans son Histoire des Français des divers états (1847) raconte l’anicroche subie par un habitant de Rodez durant la Révolution : « Un soir que la nuit était fort obscure, je rentrais fort tranquillement, une houssine à la main ; voilà que j’entendis quelqu’un crier derrière moi le cri ordinaire : Ca ira ! ça ira ! Comme cela pourra, répondis-je en continuant mon chemin. Alors les injures commencent, avec les cris : Aristocrate ! à la lanterne ! Je me retournai vers cet insolent, et le frappai de ma houssine sur le nez et sur les oreilles. » Convoqué peu après devant le tribunal correctionnel, le juge le déclare innocent des blessures qui auraient occasionné une interruption de travail durant quinze jours, au dire du plaignant « attendu que ma houssine n’avait que la grosseur du petit doigt ; mais comme elle était de bon prunellier, les dépens demeuraient compensés : ma part se monta à environ quatorze francs. » Monteil nous montre qu’une houssine ne pouvait pas provoquer de très graves dommages, mais que, fabriquée en un bois dur et noueux comme le prunellier, elle n’en infligeait pas moins des blessures.
En 1846, Alexandre Dumas (1802-1870) publie La Dame de Monsoreau. On y trouve ce passage dans la deuxième partie, au chapitre 29, où il fait dire à Bussy : « J’ai fait le chemin étape par étape, en mangeant le manche de ma houssine ; le manche de ma houssine fut ma plus habituelle nourriture pendant ces jours. » Sans doute était-il revêtu de cuir, qui donnait l’illusion de se nourrir au cavalier…
Puis c’est Paul Féval (1817-1887) qui, dans Le comte Barbebleue (1852) évoque la révolte du jeune Pichenet, enfant maltraité par Malbrouk, individu déchu et amoral, dans la Bretagne du milieu du XVIIIe siècle. « Malbrouk prit une houssine et vint en chancelant vers l’enfant. -Eh bien ! dit-il en levant la houssine, m’entends-tu ? Pichenet se redressa tout droit. Il y avait sur son visage une expression de colère sombre et désespérée. Sa mère ne l’avait jamais vu ainsi. Il regarda Malbrouk en face. – Croyez-moi, murmura-t-il ; ne me frappez pas aujourd’hui ! C’était, en vérité, une menace. Malbrouk se mit à rire. La houssine siffla et traça une ligne bleuâtre sur la joue pâle de l’enfant. Pichenet plia les jarrets, bondit et saisit Malbrouk à la gorge. » Un coup de houssine fait mal, humilie mais ne reste pas toujours impuni…
Finissons par un extrait des Mystères du peuple (1852), d’Eugène Sue (1804-1857) où, p. 401, il fait dire à l’évêque Cautin : « Y a-t-il quelqu’un, roi, seigneur, guerrier ou esclave, qui ose outrager la majesté divine ? » Et il se voit répondre : » – Il y a ici moi, le Lion de Poitiers, qui te dis ceci à toi, Cautin, évêque de Clermont : Tu vois bien cette houssine ; je te la casserai sur le dos, saint homme, si tu ne cesses de parler avec tant d’insolence… »
Cette baguette est entrée dans la littérature. Mais qui, aujourd’hui, emploie encore le mot « houssine » ?
L’illustration est un détail d’une gravure représentant « Madame Dieulafoy » publié dans la revue Le Tour du Monde de 1883, p. 137.
Article rédigé par Laurent Bastard. Merci
[...] La houssine étant synonyme de baguette (voir l’article La houssine). [...]