Dans l’article « Les bâtons bruyants du Jeudi-Saint », nous avions rapporté diverses coutumes autrefois pratiquées durant l’office du Jeudi-Saint, associé à la mort du christ. Selon les Evangiles se produisit alors divers évènements terrifiants, la nuit, un tremblement de terre, des bruits effrayants, etc. Le grand folkloriste Arnold Van Gennep, dans le « Manuel du folklore français contemporain », a recensé une grande partie de ces coutumes et nous avons rapporté dans l’article précité celles qui avaient lieu en frappant le sol avec des bâtons. Van Gennep évoque celle qui était en usage dans les Landes et voici la source détaillée de son résumé. Elle est issue d’un article de Félix Arnaudin publié dans la « Revue des Traditions populaires », tome VI, n° 6, du 15 juin 1891, p. 330-332 (en ligne via Google.livres).
« QUELQUES USAGES DE LA SEMAINE SAINTE. II : DANS LES LANDES.
Le jeudi saint, il y a peu d’années encore, les enfants et même les jeunes gens de nos villages landais étaient dans l’usage de se rendre à Ténèbres armés chacun d’un bâton de bois de bourdaine de grosseur et de longueur variables, selon la force et la taille du porteur, et dont l’écorce était partiellement enlevée, de manière à figurer d’ordinaire un ruban de cinq à six lignes de largeur enroulé autour de lui en hélice ; deux ronds d’écorce, larges d’un à deux pouces, étaient réservés, l’un au-dessous de la poignée, entièrement dénudée, l’autre à l’extrémité inférieure ; sur ces deux anneaux et même sur tout le ruban d’écorce conservé étaient assez souvent tracées des croix, des barres et d’autres figures. Quelquefois enfin, pour mieux faire montre d’adresse, on ménageait vers le milieu du bâton un troisième anneau qui coupait la spire en deux parties partant de là en sens inverse l’une de l’autre. On donnait à ces bâtons les noms de « glooue » ou de « mailloque ».
Un peu avant la fin des offices, le célébrant, s’agenouillant au pied de l’autel, baisait la terre et frappait trois fois dans ses mains ; les assistants, prosternés de même, frappaient des mains à leur tour, et aussitôt les porteurs de « mailloques », sortant tous en tumulte et prenant leurs bâtons à deux mains, en frappaient de toutes leurs forces, les uns contre les pierres et les marches de l’église, les autres contre les granges et les arbres voisins, en criant :
Truque, mailloque, (var. : mailluque).
Darré lou pourtaou, (var. : l’oustaou).
Tourne, carnaou.
= Frappe, bâton, – derrière le portail, (var. : la maison), – va-t’en, carême, – reviens, temps de la chair. (1)
Anciennement, c’est dans le chœur même, où des planches étaient étendues pour protéger les carreaux, que s’accomplissait le brisement des « mailloques » ; plus tard, à cause du désordre qui habituellement s’ensuivait, et surtout de quelques accidents produits par les bâtons volant en éclats de tous côtés, il ne fut plus toléré qu’à la condition d’avoir lieu sous le porche (rebelin), et finalement à l’extérieur de l’église.
Dans quelques localités, les porteurs de « mailloques », en entrant dans l’église, s’en dessaisissaient entre les mains du marguillier, qui les déposait auprès de l’autel et les leur rendait ensuite au moment voulu ; mais dans beaucoup d’autres, ils les gardaient avec eux pendant toute la durée de l’office.
Les débris des mailloques étaient soigneusement recueillis et remis aux ménagères, qui les fichaient en terre aux coins de leurs carrés de lin, dans l’idée de les préserver des maléfices, des intempéries, (comme on plante encore dans les champs des fragments du laurier bénit à la messe des Rameaux), et en particulier des soulèvements du sol produits par les taupes. On choisissait surtout les plus longs morceaux. Une vieille que dans mon enfance j’aidais toujours dans cette opération, la terminait par une prière qu’elle faisait à voix basse, agenouillée à côté du lin, et après s’être signée elle ne manquait jamais de dire : « Builli lou boun Diou que bénis ataou haout ! » (Veuille le bon Dieu que tu deviennes aussi haut). Si quelque morceau dépassait par trop la hauteur que le lin pouvait atteindre, on le raccourcissait, mais à l’aide du couteau, jamais avec la hache…
On dit encore aujourd’hui « per mailloques », ou « journ de mailloques » pour désigner les Ténèbres du jeudi saint ou ce jour lui-même, « ana a mailloques », dans le sens d’aller à Ténèbres. Du reste l’usage du brisement des mailloques n’est pas partout tombé en désuétude, et il y a même des villages où les prêtres en permettent encore le simulacre sur les bancs et les dalles du chœur, en mémoire de l’ancienne pratique.
Dans ce quatrain, « mailluque » (maillet), se substituait souvent à « mailloque », – à Labouheyre du moins, – sans doute pour rimer avec « truque » ; on peut noter, du reste, qu’en béarnais « mailloque » et « mailluque » désignent l’un et l’autre un maillet.
FELIX ARNAUDIN. »
Le tableau illustrant cet article représente le christ en croix entre la Vierge et saint Jean, œuvre réalisée en 1629 par le peintre Everard Quirijnz van der Maes (1577-1656). Cette peinture est conservée dans les réserves du musée de la Ville de Poitiers et de la Société des antiquaires de l’Ouest. Le Christ est environné de ténèbres selon l’Ecriture sainte.
Article rédigé par Laurent Bastard, merci