La cathédrale de Langres, en Haute-Marne, est dédiée à saint Mammès. Elle renferme un crâne supposé être le sien et deux magnifiques tapisseries du XVIe siècle y sont toujours admirées.
Saint Mammès, né en 259, fils de parents chrétiens emprisonnés, fut confié après leur mort à une riche veuve chrétienne de Césarée de Cappadoce (une partie de l’actuelle Turquie). Adolescent, il fut tourmenté par l’empereur Aurélien mais un ange l’enleva à ses bourreaux sur le mont Argée, où il put se rétablir.
La légende nous apprend qu’il vit alors un bâton tomber du ciel et entendit une voix qui lui disait d’en frapper le sol. Ce qu’il fit et aussitôt apparut le livre des Evangiles. Mammès y puisa réconfort et enseignement et prêcha même aux bêtes sauvages, qu’il apprivoisa.
Mais il fut rattrapé par les émissaires du gouverneur du pays et subit mille tortures avant de mourir, ayant reçu un coup de fourche dans le ventre (c’est pourquoi les sculpteurs le représentent tenant ses entrailles dans ses deux mains).
Les tapisseries de la cathédrale de Langres ont été confectionnées en 1544 à Paris, dans les ateliers de Pierre Blasse ou de Jacques Langlois, d’après un carton de Jean Cousin le père.
L’une d’elles nous montre différents épisodes de la vie du saint, dont, au premier plan saint Mammès prêchant aux animaux. Mais au second plan se situe une scène qui nous intéresse : on voit un angle tenir un bâton blanc et descendre vers Mammès.
La scène rappelle toutes celles que nous avons déjà évoquées dans l’article L’ange au bâton puis au lys ou dans Le bâton de l’ange de l’Annonciation. La similitude est si grande qu’on peut se demander si la légende du bâton tombé du ciel (ou remis par l’ange) pour en frapper le sol et en faire sortir les Evangiles, ne serait pas postérieure à l’image (celle de la tapisserie ou d’autres). C’est-à-dire que la représentation aurait précédé l’élaboration d’une légende, soit par construction populaire, soit par oubli des codes artistiques anciens par les autorités ecclésiastiques, pour enrichir la vie du martyr. En d’autres termes, l’ange au bâton de la tapisserie serait simplement le messager de la parole divine qu’écoute Mammès. Ensuite, sans comprendre l’attribut du saint, on aurait imaginé que ce bâton allait servir d’outil pour déterrer le livre des Evangiles.
Ceci est d’autant plus plausible que les plus longues vies de saint Mammès ont été écrites au XVIIe siècle, après la confection de la tapisserie, en un temps où le lys avait remplacé le bâton chez l’ange messager.
Ce ne serait pas la première fois que de semblables légendes, voire des personnages, sont élaborés après leur représentation. Un exemple connu est celui de sainte Véronique tenant l’empreinte du visage du Christ sur un linge. Cette image se disait en latin « vera iconica », la « véritable image ». Petit à petit, on a donné le nom de Véronique à la femme qui tient le linge, personnage anonyme et secondaire à l’origine, puis on en a fait une sainte. Dans un ordre d’idée voisin, on peut placer Simon, toujours représenté avec une scie en main. Or, rien dans sa vie ne justifie cet attribut et il n’a pas été martyrisé avec une scie. Emile Mâle, dans L’Art religieux du XIIIe siècle en France, a bien montré que, faute d’attribut caractéristique, les sculpteurs l’ont représenté avec une scie, première syllabe de son nom (Si-mon).
Article rédigé par Laurent Bastard, merci