Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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« Canne et parapluie » d’Henri Lavedan (1894)

Cannes et parapluies d' Henri Lavedan

Henri LAVEDAN (Orléans, 1859-Paris, 1940) était un écrivain et académicien (1898) bien oublié aujourd’hui. Il débuta dans le journalisme puis écrivit des pièces de théâtres, des romans, des Mémoires. Il évoque les moeurs de son temps, souvent avec humour. Il en est ainsi dans la série de vingt sketches composant « Leur Beau Physique », publié en 1894 chez Calmann-Lévy. Il se moque gentiment des messieurs coquets qui sont soucieux de leurs pieds, musculation, dents, chaussettes, gants,chapeau, cravate, bijoux, etc.
L’un des chapitres, intitulé « Canne et parapluie » met en scène Pierre, 20 ans, et Paul, 19 ans. Il montre combien la canne avait d’importance lorsque « l’on sortait », chez les jeunes gens élégants de la Belle Epoque. En voici l’essentiel.

« Chez Pierre, qui occupe un petit appartement contigu à celui de ses parents, avenue des Champs-Elysées. Pierre achève de s’habiller, il est prêt à sortir. Plus rien ne lui manque. Paul, qui a assisté à sa longue toilette, laisse éclater sa joie que tout soit terminé.
PAUL. -Ouf ! ça n’est pas dommage !
PIERRE, immobile, debout au milieu de l’antichambre. -Ne t’emballe pas. Maintenant, fini de rire. A nous les affaires d’Etat !
PAUL. -A quoi penses-tu ?
PIERRE. – C’est très grave.
PAUL. -Tu peux toujours me le dire.
PIERRE. -Je pense -je suis comme César, moi, tu sais ? -je pense à plusieurs choses à la fois.
PAUL. -Enumère.
PIERRE. -Primo. Pleuvra-t-il ? Fera-t-il beau temps ?
PAUL. -Ce n’est pas à moi qu’il faut demander ça, c’est à l’abbé Fortin.
PIERRE. -Dois-je prendre une canne ou un parapluie ?
PAUL. -Je te dis : Demande à cet abbé, il est infaillible. S’il te dit : « Il pleuvra ! » tu peux y aller hardiment, c’est qu’il fera beau temps, et tu prends ta canne la plus souriante. Si, au contraire, il te dit : « Mon petit monsieur, nous aurons du soleil », c’est qu’alors il pleuvra à seaux, et tu saisis le joyeux pépin. As-tu compris ?
PIERRE. -Oui. Mais je ne l’ai pas sous la main, cet abbé ; par conséquent, ce que tu me dis ou rien, c’est kif-kif. Et puis secundo, je pense : à supposer que je prenne une canne, quelle canne faut-il prendre ? A supposer que ce soit un parapluie, quel parapluie ?
PAUL. -Fais ce que tu voudras. Tu es d’un long ! Il faut vraiment avoir du temps à perdre pour te tenir compagnie.
(…) PIERRE. – Eh bien, ce que je te disais à la minute est très compliqué, beaucoup plus que tu ne le crois. En effet, quand je m’interroge comme tu me vois le faire, il ne s’agit pas pour moi de me demander si c’est telle ou telle canne entre toutes mes cannes, ou tel parapluie entre tous mes parapluies que je vais prendre. Non, cela ne souffrirait aucune difficulté, c’est très simple ; ce dont il s’agit, c’est de savoir si je prendrai au hasard dans le tas, ou bien si je dépareillerai un ménage. Y es-tu, à présent ?
PAUL. -Non. Je te demande pardon. Qu’est-ce que c’est que ce ménage que tu as peur de dépareiller ?
(…) PIERRE. -C’est bien la peine que je me sois donné un mal de chien, l’année dernière, à t’expliquer tout le mécanisme de mes cannes et de mes parapluies !
PAUL. -Ah ! oui ! Maintenant, ça me revient vaguement.
PIERRE. -Je t’ai expliqué que j’avais un escadron volant de cannes de toutes sortes, une cinquantaine environ, et puis un petit peloton de parapluies.
(…) Et puis alors, en dehors de ça, je t’ai dit tout au long que j’avais des ménages.
PAUL. -Ah ! oui !
PIERRE. -J’appelle un ménage une canne et un parapluie assortis, qui vont ensemble, qui ont même manche, même pommeau, même bois. Un ménage. Eh bien ! j’ai douze ménages. Naturellement les ménages sont beaucoup plus jolis, plus riches que les volants ! Seulement, je ne saurais pas te dire pourquoi ça me cause une petite impression pénible de prendre une canne ou un parapluie qui fait partie d’un ménage.
PAUL. -Cependant, il faut bien ! Tu ne peux jamais prendre à la fois le ménage complet, la canne et le parapluie ?
PIERRE. – Si.
PAUL. -Mais alors on te regarde dans la rue. Tu as l’air d’un marchand.
PIERRE. -Tu n’attends pas la fin de ma phrase. Je prends toujours le ménage en voiture !
PAUL. -Fermée ?
PIERRE. -Fermée ou ouverte. J’ai des anneaux pour les passer. De cette façon, je les vois tous les deux.
PAUL. -Elle et lui.
PIERRE. -Je suis content. Il peut tomber ce qu’il voudra : de l’eau ou du soleil, je suis armé, j’ai mon ménage.
(…) PAUL. -Assez ! Trotte chercher ton ménage.
PIERRE. -J’y vais. Tu les connais, mes râteliers de cannes et de parapluies ? J’ai des merveilles.
PAUL. -Oui, oui.
PIERRE. -Il n’y a qu’une chose qui me manque pour être heureux : c’est d’avoir une canne qui m’ait été donnée par le prince de Galles.
- PAUL. -C’est impossible. Tu sais bien qu’il n’en donne qu’à Febvre. Allons, fichons le camp ! »
Cannes et parapluies d'Henri Lavedan

Cette dernière ligne fait sans doute allusion à un cadeau du prince de Galles, le futur Edouard VII, à Frédéric FEBVRE (1833-1916), auteur, avec T. JOHNSON et Alexandre DUMAS d’un « Album de la Comédie française dédié au Prince de Galles », paru en 1879. Febvre fut un comédien célèbre, sociétaire et vice-doyen de la Comédie française.

Article rédigé par Laurent Bastard. Merci :)

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1 Comment to “« Canne et parapluie » d’Henri Lavedan (1894)”

  1. [...] si l’on ne voulait pas avoir les deux mains encombrées (voir l’article « Canne et parapluie d’Henri Lavedan (1894) » Or, vers 1830, un ingénieux fabricant parisien avait cru résoudre ce dilemme en [...]

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