Voici un petit conte trouvé dans « Histoire agricole de la France : l’agriculture, les cultivateurs et la vie rurale depuis l’époque gauloise jusqu’à nos jours / A.-Alexis Monteil ; avec introduction, supplément et notes, par Charles Louandre » paru vers les années 1800.
« Un gentilhomme apparaissait tous les jours, entre chien et loup, au fond de la vallée de Galie, près Versailles, tenant une canne à pomme d’or, et priant tous ceux qui passaient de lui en rendre cinq cents coups qu’il avait mal à propos donnés aux gens du pays qui venaient chasser sur ses terres. Eh ! que vaut un lièvre? disait-il, 40, 50 sous ! et un lapin? 25 sous !
J’ai donné plus de cent coups de canne pour les fièvres et les lapins. J’en ai donné plus de deux cents pour les perdrix ; et une perdrix, que vaut-elle ? 20 sous. Encore passe pour une bécasse ; elle vaut, 25, 28 sous. Un faisan vaut, quand on a de l’argent, 5 livres, ou il ne vaut rien. C’est un bel oiseau qu’un faisan ; aussi les coups de canne que j’ai donnés pour les faisans ne me pèsent pas autant sur la conscience. Oh ! ceux qui me pèsent sont ceux donnés pour les sarcelles, dont le prix n’est que de 25 sous ; pour les vanneaux qui en valent à peine 12 ; pour les cailles qui ne valent pas un plus grand prix ; pour les grives, qui valent tout au plus 6 sous ; pour les pluviers, qui en valent tout au plus 3. Les coups qui me pèsent le plus sont ceux donnés pour les alouettes, qu’on a, tant qu’on veut, à 2 sous chacune.
Donner de si grands coups de canne pour de si petits oiseaux ! Oh ! que je m’en repens aujourd’hui ! Mon
ami, disait ce pauvre gentilhomme à tous ceux qui allaient la nuit de Roquencourt à Saint-Cyr, en leur présentant sa canne et en se mettant en position de les recevoir, donnez-moi cinq cents coups de canne,
je vous en prie! Cinq cents coups de canne bien appliqués sur mes épaules, mettraient fin à mes peines.
Si c’avait été un vieux coquin de tailleur ou de meunier, il se serait trouvé beaucoup de monde qui ne
lui aurait pas refusé ce service ; mais il ne se trouvait personne qui osât frapper un gentilhomme. Cette
apparition a continué jusqu’à ce qu’on ait bâti aux environs ce superbe château qui est une merveille
de notre temps. Depuis, on n’a plus vu le gentil homme, soit qu’il ait trouvé quelque maçon limousin
pour accomplir sa pénitence, soit plutôt qu’il ait mieux aimé la faire dans l’autre monde plus longue
et plus pénible avec d’autres gens de qualité, que de venir se faire donner cinq cents coups de canne sous
les fenêtres du roi. »
FM