Le Juif errant est un personnage dont la légende émerge au XVIe siècle, mais qui puise son origine plus tôt encore, au XIIIe siècle, dans des traditions diverses, évangéliques et populaires.
Il s’agit d’un cordonnier nommé Ahasvérus ou Isaac Laquedem, qui, voyant passer le Christ portant sa croix devant son échoppe, lui refusa de se reposer un instant chez lui et le repoussa méchamment. Le Christ lui aurait alors dit qu’il marcherait jusqu’au jugement dernier, sans jamais pouvoir mourir. Il peut s’agir d’une allégorie du peuple juif, dispersé de par le monde.
Cette légende a connu jusqu’au début du XXe siècle une extraordinaire popularité, par l’image (estampes, peintures), la musique, la sculpture et dans la littérature. Au XVIIe et XVIIIe siècle, de nombreuses personnes ont affirmé l’avoir rencontré ici et là, ce qui entraîna aussi l’apparition d’imposteurs qui prétendirent être le Juif errant pour attirer la compassion et quelques oboles.
Comme tout marcheur, le Juif errant est porteur d’un bâton. Pour en apprécier la diversité des représentations, on se reportera au très beau catalogue de l’exposition « Le Juif errant, un témoin du temps » présentée au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme à Paris d’octobre 2001 à février 2002.
Nous avons sélectionné quelques-unes des images de ce catalogue, montrant bien que le bâton est l’un des accessoires principaux du Juif errant, toujours figuré avec une longue barbe.
L’image 1 le représente de profil, bâton en diagonale, à gros bout façonné en pommeau . Il s’agit d’une gravure populaire, sur bois, coloriée, par François Georgin intitulée « Le Juif-errant », accompagnée d’un texte où il raconte son éternelle existence. C’est une gravure éditée par la célèbre imagerie Pellerin à Epinal, vers 1826-1830. Elle est conservée au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme sous la cote MAHJ 95.41.1. Elle est reproduite en pleine page du catalogue, p. 90.
L’image 2 le montre de face, revêtu d’un tablier de cordonnier et tenant un bâton à bout recourbé, comme une canne. Il s’agit là aussi d’une gravure sur bois coloriée de Pierre-François Godard, éditée à Cambrai par Hurez, imprimeur-libraire, vers 1808-1814. Elle est conservée au Musée national des arts et traditions populaires (aujourd’hui le MUCEM), sous la cote 51.31.3 c, et reproduite page 104 du catalogue.
L’image 3 le montre également de face, tenant un gros et haut bâton. Cette gravure sur bois, assez fruste dans sa technique, illustre l’ « Histoire du Juif errant », livret de colportage édité par Garnier à Troyes au XVIIIe siècle, et représentatif de ce que l’on a appelé la « bibliothèque bleue » à cause du grossier papier bleu qui servait de couverture à ces petits livres. Celui-ci est conservé à la Bibliothèque municipale de Troyes sous la cote B. Bl. 1655.
L’image 4 nous le montre cheminant et adressant quelques mots en se retournant à un groupe de curieux. Il tient un long bâton dont le bout recourbé en crosse est, non pas tenu en main comme une poignée, mais appuyé sur le sol. Est-ce une inversion volontaire pour exprimer le caractère « anormal » du personnage condamné à ne pas mourir, ou plutôt une représentation de l’un de ces bâtons à gros bout renflé ou à crosse, comme on peut déjà en voir un sur un tableau de Jérôme Bosch ? (voir l’article : Le bâton du fils prodigue par Jérôme Bosch (1502) . Cette lithographie est due à Grandville (1803-1847), pour illustrer les « Œuvres complètes de Béranger » éditées par H. Fournier en 1836-1840. Elle est conservée au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme sous la cote MAHJ 96.09.006 ; elle figure en page 186 du catalogue.
L’image 5 montre le Juif errant porteur d’un bâton en haut duquel est accroché une gourde genre calebasse de pèlerin. Cette figuration du bâton est beaucoup moins fréquente car elle pourrait entraîner une confusion entre deux marcheurs en quelque sorte opposés : le pèlerin chrétien de Saint Jaques et le Juif errant, mais on la trouve déjà gravée en page de titre de l’ « Histoire du Juif errant » éditée à Troyes chez Baudot, imprimeur, rue du Temple, au XVIIIe ou début du XIXe siècle (voir page 86 du catalogue). Le personnage y est représenté de profil, tendant une main, tandis que l’autre tient un bâton aussi haut que lui, à trois anneaux, auquel est accrochée une calebasse. On peut d’ailleurs se demander si, pour des raisons d’économie, l’imprimeur n’aurait pas « recyclé » une gravure de pèlerin pour représenter le Juif errant, le procédé étant maintes fois constaté en ce qui concerne des livrets de la bibliothèque bleue, fabriqués en série et à bas coût.
Mais revenons à l’image 5. C’est la couverture d’une édition bon marché de 1948 du grand roman d’Eugène Süe, « Le Juif errant ». L’écrivain publia ce roman en 169 feuilletons dans le journal « Le Constitutionnel » en 1844-1845. Il rencontra un énorme succès et des réactions contradictoires par ses rebondissements, la relation des intrigues des Jésuites, son anticléricalisme et le personnage même du Juif errant, présenté comme une victime qui cherche la rédemption. Le roman connut de multiples éditions jusqu’à nos jours.
L’image 6 illustre la popularité du thème du Juif errant, réactivé par le roman d’Eugène Süe. Il s’agit d’une statue en bronze, œuvre du sculpteur Le Harivel-Durocher, installée en 1879 dans le jardin public du champ de foire de Flers-de-l’Orne (61). Elle fut déplacée en 1881, puis replacée à son emplacement initial, avant d’être fondue en 1941 sous le régime de Vichy, par réquisition des Allemands, comme tant d’autres statues de bronze. Le Juif errant est appuyé sur un simple bâton en biais.
Ce n’est là qu’un aperçu des multiples représentations du Juif errant porteur d’un bâton de longueurs et de formes différentes, mais qui est l’instrument du marcheur par définition.
Article rédigé par Laurent Bastard, merci