Centre de Recherche sur la Canne et le Bâton
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LES POMMEAUX DE CANNES DE COMPAGNONS (3)

Poursuivons notre exploration des pommeaux de cannes compagnonniques avec un pommeau différent. Il s’agit de celui d’une canne de compagnon boulanger, en ivoire, d’une seule pièce munie d’un pas de vis pour s’adapter au jonc. Pourquoi l’ivoire, comme le sont encore les pommeaux des cannes de compagnons boulangers et de pâtissiers du Devoir ? Parce que sa blancheur rappelle celle de la farine (les boulangers sont d’ailleurs surnommés les « Chiens blancs »). Depuis quelques années, l’ivoire naturel n’étant plus commercialisé, les compagnons font fabriquer leurs pommeaux en ivoire artificiel, mais certains, traditionnalistes, récupèrent des boules de billard anciennes pour en faire des pommeaux comme autrefois.
Les cannes de boulangers à pommeaux d’ivoire sont attestées au moins depuis les années 1837 puisque l’un d’eux, Edouard Arnaud, dit Libourne le Décidé, évoque dans ses Mémoires (1859) « les joncs à pommes blanches que nous portions en bandoulière » cette année-là. D’autres corps de métiers faisaient de même, tels les tailleurs de pierre, les plâtriers, les blanchers-chamoiseurs (tanneurs de petites peaux à l’alun, qui donne une couleur blanche au cuir).
Ce pommeau est circulaire et légèrement bombé. Il en existe d’autres, surtout les plus anciens qui sont sphériques.

Celui de la première photo est gravé du nom du compagnon, d’emblèmes et d’autres informations. On y lit : « CHOUTEAU TOURANGEAU LE SOUTIEN D.°. D.°. R.°. A.°. TOURS ASSOMPTION 1905″, ce qui signifie que le compagnon Chouteau dit Tourangeau le Soutien du Devoir a été reçu compagnon à Tours le jour de la fête de l’Assomption (15 août), en 1905. Les initiales sont suivies de trois points en triangle, ce qui constitue un emprunt aux usages de la Franc-maçonnerie, intervenu au cours du XIXe siècle.
Les emblèmes constituent le « blason » des boulangers : un rouable, pour ôter les braises du four avant cuisson, une pelle à enfourner et un coupe-pâte. L’ensemble est surmonté de l’ « oeil qui voit tout », symbole de Dieu, qui sacralise les coutumes, le métier et l’idéal des compagnons. Les lettres C.°. B.°. D.°. D.°. signifient : Compagnon Boulanger Du Devoir. Enfin, en dessous, on distingue la « bonne foi », c’est-à-dire la poignée de mains, vieil emblème de la fraternité.
Toutes les pommes de cannes de boulangers n’étaient pas gravées au nom de leur propriétaire (photo 2). La gravure avait un coût qui s’ajoutait à celui de la canne elle-même, ce qui pouvait dissuader des compagnons peu fortunés. Mais l’absence de nom et d’emblèmes sur le pommeau des cannes anciennes était aussi imposé par la nécessité de ne pas être identifié par la police ou la gendarmerie lors d’une rixe, si la canne venait à être perdue dans la bataille. Et l’on sait que les compagnons boulangers, fondés en 1811, étaient jugés indésirables par les autres corps plus anciens. Ils furent très souvent malmenés par eux.
Les photos illustrant cet article sont issues du musée du Compagnonnage de Tours (droits réservés).

Article rédigé par Laurent Bastard. Merci :)

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